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VERS UNE FIN D’ANNÉE TRANQUILLE ? Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2023-12-07


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Le mois de novembre est marqué par l’atténuation des tensions géopolitiques, la poursuite du processus de désinflation et la baisse des rendements obligataires qui renforcent les chances du scénario d’atterrissage en douceur de l’économie (soft landing). Les marchés boursiers flirtent à nouveau avec leurs sommets de l’année grâce à la contraction des taux d’intérêt réels. Le retour de l’appétit pour le risque nous semble parfaitement légitime malgré la persistance de nombreux risques.

Accalmie bienvenue sur le front géopolitique

L’apaisement observé sur le front géopolitique est bien réel en dépit des images véhiculées par les médias internationaux qui alimentent l’anxiété générale. Les marchés financiers en ont clairement profité (contraction des primes de risque). En guise d’illustration, nous notons la détente observée sur les prix pétroliers. Au Proche-Orient, la conflagration générale tant redoutée n’a pas eu lieu. L’Iran et son allié le Hezbollah n’ont pas tiré profit de l’attaque éclair du Hamas pour ouvrir un nouveau front au sud du Liban. L’opinion publique occidentale a clairement tourné le dos à Israël, contraint de négocier la libération des otages par le biais du Qatar. En Ukraine, l’échec de l’offensive militaire de Kiev est définitivement acté par manque de moyens humains et de matériels alors que l’hiver annonce un gel des positions des deux camps. La Russie, qui depuis la défaite de son offensive du printemps 2022 mène une guerre d’attrition, continue de parier sur la lassitude des démocraties occidentales. Nous soulignons également le réchauffement des relations entre les États-Unis et la Chine. Si les résultats de la rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping à San Francisco le 15 novembre dernier sont plutôt minces, nous insistons sur la restauration des canaux de communication entre les forces militaires des deux puissances, qui diminue les risques d’escalade en cas d’incidents ou de malentendus, notamment autour de Taiwan et en mer de Chine méridionale.

Que le lecteur ne se méprenne pas sur le sens de nos propos: les risques géopolitiques sont toujours bien présents et doivent bien évidemment être intégrés dans les réflexions des investisseurs sur l’allocation de leurs portefeuilles. Les marchés ne font qu’acter aujourd’hui l’absence de dérapage incontrôlé ou d’escalade, ce qui n’élimine pas la réalité de ces risques exogènes pour les prochains mois. Aux sujets très brièvement évoqués précédemment, nous pouvons ajouter les élections parlementaires européennes du 6 juin 2024 et l’élection présidentielle américaine du 5 novembre qui ne manqueront pas d’alimenter de vifs débats au sein de la communauté des investisseurs.

Le soft landing est le scénario retenu par le consensus

S’agissant de l’environnement macro-économique, le contexte général est caractérisé par la poursuite de la désinflation mondiale avec plutôt de bonnes nouvelles de part et d’autre de l’Atlantique ces dernières semaines, le retour des attentes de desserrement monétaire en 2024 et la contraction des rendements obligataires et des différentiels de taux (spreads), y compris dans le segment des obligations à haut risque (high yield), qui renforcent le scénario d’un ralentissement modéré de l’économie mondiale (atterrissage en douceur ou soft landing). L’hypothèse d’une récession sévère est à présent exclue, en dehors de quelques cas très particuliers, comme l’Allemagne contrainte dans sa politique budgétaire expansionniste par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

Comment expliquer le resserrement des écarts de crédit, y compris dans le segment des obligations les plus risquées, alors que la conjoncture n’est pas au beau fixe et que la vitesse et l’ampleur du resserrement monétaire des dix-huit derniers mois posent la question de la solvabilité des débiteurs ? Dans le secteur privé, la réponse tient en partie au fait que la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont poussé les entreprises à adopter des politiques financières plus disciplinées, plus austères. Certains évoquent aussi le transfert d’une partie du crédit le plus risqué vers les marchés de la dette privée. Ainsi, la qualité globale des marchés du crédit, y compris dans le segment high yield, n’a aujourd’hui rien d’alarmant. En Europe où la qualité du crédit à haut rendement est plus élevée qu’aux États-Unis (68% des émissions jouissent d’une note BB contre 49% seulement outre-Atlantique, et moins de 5% une note CCC contre 11%), l’écart moyen de taux par rapport aux obligations gouvernementales a diminué de près de 50 points de base (0,50%) sur le mois écoulé. Le rendement actuariel moyen qui tient compte des options de rachat par les émetteurs (yield-to-worst) s’élève à 7,7% pour une duration de trois ans contre 8,7% au début du mois de novembre, une contraction significative. Le fait n’est pas suffisamment souligné par les stratégistes : une des principales raisons qui expliquent le bon comportement des marchés d’actions est à chercher du côté de la bonne santé financière générale des entreprises cotées qui ne sont pas exagérément endettées à ce stade du cycle économique.

Du côté américain, nous avions déjà noté le mois dernier la stabilisation des marges bénéficiaires au troisième trimestre (normalisation après la période exceptionnelle de « greedflation » - cf. notes mensuelles précédentes) qui justifie en partie la bonne tenue du marché de l’emploi - les directions n’ont pas de raison de dégraisser les effectifs trop durement -, alors que la croissance de l’activité reste satisfaisante. Le retour des gains de productivité - sans aucun doute la meilleure nouvelle de 2023 car il laisse augurer le renforcement de la croissance économique potentielle des États-Unis - offre également une bouffée d’oxygène aux entreprises américaines en soutenant leur profitabilité (diminution du coût unitaire du travail au 3ème trimestre) et en préservant leur capacité à investir (autofinancement) malgré le resserrement des conditions financières sur les dix-huit derniers mois. Il nous faut une nouvelle fois insister sur le fait que le rebond de la productivité aide la Réserve fédérale dans sa lutte contre l’inflation car le coût unitaire du travail est un déterminant essentiel dans l’évolution des prix.

Renforcement des anticipations de détente monétaire en 2024

En conséquence des évolutions précédemment décrites, les marchés se sont mis à anticiper un fort assouplissement monétaire de la part de la banque centrale américaine l’an prochain, à savoir environ 125 points de base de baisse de ses taux directeurs (1,25%), alors que les taux des Fed funds sont actuellement fixés dans une fourchette de 5,25 à 5,50%. Les discours les plus récents des autorités monétaires américaines saluent la désinflation et pointent vers une détente monétaire qui pourrait démarrer dès le printemps prochain selon les anticipations actuelles des marchés financiers (une chance sur deux de voir une détente de 25 points de base lors de la réunion de la Fed de mars 2024). Bien évidemment, sans réelle surprise, ces discours confirment aussi la grande vigilance de la Réserve fédérale : le prochain pivot de sa politique monétaire dépendra de la trajectoire de l’inflation dans les prochains mois.

Nous notons que les espoirs de baisse de taux d’intérêt concernent également la Banque centrale européenne (BCE), bien que dans une moindre mesure. Le ralentissement économique plus prononcé de la zone euro alors que les volumes de crédit continuent d’évoluer défavorablement (baisse de la demande de financement des entreprises et des candidats à la propriété immobilière, et durcissement des conditions de prêts bancaires) devrait conduire la BCE à s’interroger sur la pertinence du maintien des taux courts à 4% alors que la Réserve fédérale prépare déjà les marchés à son prochain pivot. Si le processus de désinflation est moins avancé du côté européen, notamment dans les services qui ont pâti d’une progression des salaires toujours robuste en 2023, autour de 4,5%, il semble que le pire de la dynamique salariale soit à présent derrière nous. La grande difficulté à laquelle la BCE doit faire face est l’hétérogénéité des indices d’inflation entre les pays membres de la zone euro qui témoigne de politiques de soutien très différentes. Toutefois, il faut garder à l’esprit que la part des profits des entreprises dans l’inflation européenne a été significative : selon les estimations des économistes, environ la moitié de la hausse des prix observée entre la fin de 2021 et la fin du premier trimestre 2023 s’explique par la hausse des marges bénéficiaires. Dans un contexte de demande finale atone (les volumes de consommation en zone euro sont à peine revenus aux niveaux prépandémie alors qu’ils sont déjà supérieurs de 10% aux États-Unis), nous estimons que cette inflation va sans doute s’évaporer en très grande partie. En tenant compte du fait que l’inflation salariale est un indicateur retardé du cycle, nous sommes d’avis que les faucons de la BCE, partisans de la ligne monétaire la plus dure, pourraient se retrouver en minorité dans les prochains mois, ce qui ouvrirait la voie à une détente monétaire en 2024. 

 

Conclusion

Nous reconnaissons que la croissance économique sera médiocre dans les prochains mois. Nous admettons que les attentes de détente monétaire reflétées dans les courbes de taux d’intérêt sont déjà significatives. Elles ne sont pas irréalistes dans un scénario de soft landing et de poursuite du processus de désinflation. A posteriori, notre revirement d’opinion du début novembre s’est finalement avéré plutôt justifié. L’inflation continue de baisser, aidée par la modération des prix énergétiques. Le contexte géopolitique certes anxiogène est moins tendu. Les anticipations de détente monétaire et la baisse des rendements obligataires renforcent le scénario d’atterrissage en douceur de l’économie ; les indicateurs avancés de conjoncture semblent avoir atteint leur niveau plancher. Les profits des entreprises se normalisent mais restent soutenus, aux États-Unis grâce au redressement des gains de productivité, en Europe grâce à l’internationalisation des entreprises et à leur capacité à défendre leur pricing power. La valorisation des marchés d’actions n’a rien d’excessif et n’intègre pas encore le potentiel de hausse des gains de productivité tirés par le déploiement à grande échelle de l’intelligence artificielle. Les enjeux de long terme offrent de formidables opportunités d’investissement et de croissance pour les entreprises. 2024 ne sera sans doute pas un long fleuve tranquille. Est-ce une raison suffisante pour regarder le train passer ?


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