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2021 : et si le nouveau millésime rimait avec Europe et « Value investing » ? Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2021-01-11

  • Quatre hypothèques d’ordre politique enfin levées
  • Quel rapport entre la Géorgie, la thématique « value » et les actions européennes ?
  • Conclusion

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Quatre hypothèques d’ordre politique enfin levées

Nous profitons de la première lettre mensuelle de l’année pour vous souhaiter une très belle année 2021 tant sur le plan personnel que sur le plan boursier ! Que tous les espoirs soulevés par les vaccins contre le SARS-CoV-2 soient rapidement comblés, et que la seconde vague hivernale qui frappe l’hémisphère Nord ne soit plus qu’un mauvais souvenir ! Certes, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, alors que les campagnes de vaccination démarrent trop souvent avec lenteur, voire, dans certains pays développés, dans le plus grand désordre logistique. Cependant, les marchés semblent bien adopter le scénario d’un retour à la vie normale dès le printemps 2021 ; le premier trimestre sera encore fort affecté par les durcissements des restrictions de circulation et les fermetures partielles ou totales des commerces et des services de proximité qualifiés de non-essentiels. Qu’à cela ne tienne ! semblent penser les investisseurs qui se projettent dans l’avenir et parient sur un redressement rapide de l’activité économique à partir du deuxième trimestre. Heureusement, les dernières semaines furent riches en évènements plutôt favorables aux marchés financiers. Plusieurs hypothèques d’ordre politique ont finalement été levées, et pas des moindres.

En Europe, deux sujets peuvent être considérés comme faisant partie du passé, du moins aux yeux des investisseurs :

>   D’une part le Brexit, qui sera avant tout un défi majeur pour le Royaume-Uni (50% de ses exportations prennent le chemin du Vieux Continent), alors que l’Union européenne a défendu avec succès les règles qui conditionnent l’accès à son marché intérieur (respect des normes juridiques, techniques, environnementales…). Les Britanniques ont fort peu gagné dans l’aventure ; le secteur financier (6,5% du PIB de la Grande-Bretagne) ne fait même pas partie de l’accord, la Commission restant le seul maître à bord pour accorder à sa discrétion et au cas par cas le passeport européen aux produits et services financiers de la City. C’est un peu comme si Bruxelles avait décidé de pointer en permanence un pistolet chargé sur la tempe de la perfide Albion ! Les Britanniques, qui devront sans doute faire face à l’avenir aux velléités d’indépendance de l’Écosse insatisfaite du Brexit, oublieront rapidement leurs rêves de « Singapour sur la Tamise » et autres chimères impériales du même genre. Pour le moment, le Royaume-Uni doit faire face à plus de 60 000 nouveaux cas de contamination par jour, un défi plus urgent…

>   D’autre part, le plan de relance européen qui a fait l’objet d’un compromis au sujet des conditions d’octroi des fonds liées au respect de l’État de droit. La pression des milieux d’affaires allemands exercée sur le gouvernement de Berlin pour adoucir la position de l’Union à l’égard de la Pologne et de la Hongrie - véritables ateliers de l’industrie allemande – n’est sans doute pas étrangère à ce revirement de dernière minute qui a sauvé la face de toutes les parties. Nous ne cesserons d’insister sur le caractère historique d’un plan de 750 milliards d’euros qui institutionnalise le principe de solidarité européenne au moyen de fonds financés directement par la Commission sur les marchés financiers, et qui seront pour près de 70% versés en 2021 et 2022.

Aux États-Unis, il s’agit d’abord de l’adoption bipartisane du plan de relance de près de 900 milliards de dollars (4,1% du PIB), accueillie avec soulagement par les investisseurs, puis des résultats du second tour des élections sénatoriales du 5 janvier dans l’État de Géorgie (victoire des démocrates) qui remettent en cause certaines des conclusions que nous avions tirées des élections législatives et présidentielle américaines de l’automne dernier. Les mouvements observés sur les marchés boursiers dans les heures qui ont suivi l’annonce des résultats des élections en Géorgie, à savoir la baisse des titres technologiques, des valeurs de croissance, et surtout la forte progression des cours des entreprises réputées « value » (matériaux de base, sociétés industrielles, valeurs bancaires) parallèlement à la hausse des taux d’intérêt à long terme en USD (le rendement des obligations du Trésor à 10 ans supérieur à 1%, au plus haut niveau sur les neuf derniers mois), sans oublier la forte performance absolue et relative des actions européennes (le marché « value » par excellence), pourraient bien annoncer un début de changement de paradigme sur les marchés boursiers. Mais comment des élections dans l’État de Géorgie peuvent-elles influencer la performance relative de la thématique « value » et celle des actifs européens ? C’est ce que nous tentons d’expliquer dans la suite.

Quel rapport entre la Géorgie, la thématique « value » et les actions européennes ?

 Les démocrates au pouvoir

La victoire démocrate en Géorgie (gain de deux sièges supplémentaires au Sénat donnant la majorité absolue et donc le contrôle de la Chambre haute du Congrès grâce à la voix de la vice-présidente Kamala Harris qui arbitrera les votes sénatoriaux en cas d’égalité parfaite entre les camps démocrate et républicain) était loin d’être acquise. Il faut reconnaître que les turpitudes de Donald Trump depuis l’élection présidentielle n’ont en rien aidé les candidats républicains dont un sénateur sortant était encore favori des sondages il y a quelques semaines à peine !

Alors que l’équipe exécutive nommée par Joe Biden annonçait une politique économique centriste éloignée des lubies progressistes et des mesures les plus hostiles à Wall Street (ce que les ténors radicaux tels que Bernie Sanders n’ont pas manqué de souligner), le gain des deux sièges sénatoriaux vient rebattre les cartes. Rappelons que la moitié du programme de Joe Biden fut rédigé par les équipes progressistes du Parti démocrate, et qu’elle fait la part belle aux hausses d’impôts (personnes physiques, sociétés, taxation des plus-values), au doublement du salaire minimum fédéral et au renforcement de la régulation dans quatre secteurs clefs : les plateformes numériques, la santé, l’énergie carbonée et les banques. Certes, les investisseurs peuvent garder leur optimisme en pariant sur la grande prudence de la nouvelle administration en pleine crise sanitaire et la perspective d’un nouveau plan de relance de plusieurs centaines de milliards de dollars au bénéfice des dépenses d’infrastructures – les investisseurs espèrent 1 500 milliards de dollars. En outre, de nombreux élus démocrates sont réputés trop proches du centre de l’échiquier politique pour accepter de soutenir toutes les exigences progressistes ; après tout, la majorité démocrate au Sénat ne tient que par la voix de la vice-présidente Kamala Harris. Néanmoins, il serait naïf de penser que l’aile gauche radicale, fortement représentée au Congrès, et notamment au Sénat avec des leaders qui présideront sans doute quelques commissions importantes, restera docile et silencieuse durant les quatre prochaines années de la présidence de Joe Biden. Le ver est dans le fruit : les investisseurs seront très certainement bousculés par des informations politiques plutôt hostiles à Wall Street dans les prochains mois, en dehors des mesures de relance budgétaire évidemment favorables à la croissance à court terme.

En quoi cela change-t-il la donne sur les marchés ?

Tout d’abord, un contrôle démocrate du Congrès signifie sans aucun doute davantage de dépenses publiques et de déficits, ce qui est plutôt défavorable au dollar et aux taux d’intérêt des obligations du Trésor – ce que reflètent parfaitement les premières heures qui ont suivi l’annonce des résultats des élections sénatoriales du 5 janvier.

Ensuite, les perspectives de forte hausse d’impôt (indispensable pour financer une partie du programme démocrate) et de durcissement de la régulation assombrissent le futur du secteur de la technologie, grand vainqueur de la réforme fiscale de Donald Trump, et dont les grands leaders subissent actuellement les foudres des autorités antitrust – un phénomène d’ailleurs quasi universel puisqu’il s’observe aussi bien aux États-Unis qu’en Europe (deux directives adoptées en décembre par la Commission appelées Digital Markets Act et Digital Services Act) et en Chine (fin de la récréation sonnée par le Parti communiste contre les leaders technologiques, récemment Alibaba). Pour les valeurs de croissance en général, et les sociétés technologiques en particulier, la perspective de relèvement des taux d’intérêt (taux d’actualisation des cash-flows lointains) et des anticipations d’inflation, de durcissement de la régulation (lutte contre les monopoles, protection des données privées), et de hausse de la fiscalité n’est pas un cocktail particulièrement agréable à avaler.  

La politique de « reflation » que l’on peut légitimement attendre de la part de la nouvelle administration de Washington favorise plutôt les segments les plus cycliques, notamment les matériaux de base, les sociétés industrielles et les titres bancaires dont la valorisation de marché est très corrélée à la pente de la courbe des taux d’intérêt. Le secteur technologique est encore aujourd’hui très probablement le plus pondéré dans les portefeuilles des investisseurs. Son poids représente 25% de l’indice mondial MSCI. Celui des seuls GAFAM (Alphabet, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) est proche de 20% de l’indice S&P 500. Autrement dit, dans le cadre des gestions passives, indicielles, de nombreux investisseurs qui usent de fonds trackers et de fonds thématiques (cloud, robotique, e-commerce…) sont certainement exposés au-delà du raisonnable et souvent sans en avoir bien conscience aux segments de marché les plus fragiles face à un changement de paradigme des marchés (perspectives de remontée des anticipations d’inflation et des taux d’intérêt).

Mais que vient faire l’Europe dans cette histoire ? Avec seulement 7% du marché constitués de valeurs technologiques et un poids important dans les secteurs « value », l’Europe est la région développée la moins valorisée (rapport cours/bénéfices 2021 de l’indice STOXX 600 égal à 18 contre 22 pour l’indice S&P 500) ! Si cette décote relative trouvait en grande partie sa justification dans la prime de risque politique élevée depuis la crise des obligations souveraines de 2010-2012 et le référendum sur le Brexit de juin 2016, elle est devenue indéfendable alors que les questions politiques majeures ont enfin été réglées. Les bourses européennes sont les grandes oubliées des dix dernières années. Les thématiques américaines, chinoises et technologiques ont été largement jouées voire surjouées par les investisseurs à la recherche de performance quel que soit le prix  payé.

Conclusion

Dix années de sous-performance chronique de la « value » face à la thématique « croissance » en général et technologique en particulier auront laissé des traces indélébiles dans les sociétés de gestion. Elles auront renvoyé à l’âge des dinosaures les gérants qui accordent une importance cruciale à la valorisation des actifs dans leurs choix d’allocation (calcul du couple rendement/risque). Pourtant, si la crise sanitaire a bien accéléré les tendances de fond de l’économie et de la société, en particulier la transformation digitale (cloud, e-commerce, télétravail, 5G, internet des objets, blockchain, intelligence artificielle…en attendant l’informatique quantique) et la transition écologique, thématiques qui ont absorbé des flux records de liquidités en 2020, amplifiés par les politiques des banques centrales (importance accrue de la thématique ESG dans la gestion d’actifs ; allocations toujours importantes dans les nouvelles technologies ; montants records des introductions boursières sur le marché américain), les investisseurs semblent avoir oublié que la dernière décennie est également synonyme de forte contraction des taux d’intérêt et d’affaiblissement quasi ininterrompu des anticipations d’inflation, deux facteurs qui ont joué un rôle majeur dans la dynamique des performances relatives entre les thématiques « value » et « croissance », mais aussi entre l’Europe et les États-Unis.

Depuis dix ans, les marchés boursiers européens sous-performent les actifs américains tirés par les valeurs de croissance et leur statut de valeurs refuges. La crise des dettes souveraines de la zone euro de 2010-2012 a éloigné de nombreux investisseurs internationaux de l’Europe ; le Brexit et les crises politiques et sociales à répétition (Italie, Espagne, France) n’ont pas aidé à restaurer la confiance dans le dessein européen. Pourtant, la Commission semble avoir pris conscience de la nécessité d’armer l’Europe face aux grands enjeux du XXIème siècle. Le plan de relance acte sa volonté de pérenniser le projet européen et l’euro par la même occasion. Dans ce cadre, la BCE joue parfaitement son rôle en réassurant la solvabilité des membres de la zone euro. Les marchés financiers, trop accaparés par l’épisode des élections américaines et les péripéties de la crise sanitaire de la Covid-19, ont négligé cette petite révolution rendue possible par le soutien de l’Allemagne consciente que son principal marché d’exportation reste l’Europe et par le départ du Royaume-Uni qui fut un fervent opposant à l’idée fédéraliste. Le Vieux Continent n’a rien à envier aux États-Unis dont la croissance économique est dopée depuis longtemps par des déficits excessifs, et dont le climat politique et social n’a rien de rassurant. Alors, pourquoi l’année 2021 ne serait-elle pas celle du retour en grâce des actifs européens ?


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