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La récession sera-t-elle finalement évitée ? Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2023-02-03

Mots-clés: rallye, valorisation, récession, reprise, croissance, ralentissement modéré, désinflation, etc.

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Après un mois de décembre plutôt décevant (repli des indices boursiers de 4 à 8%), les principaux marchés ont repris des couleurs et clôturé le mois de janvier avec des gains significatifs (5 à 10%). Dans cette phase de retour de l’appétit pour le risque, les actions européennes, chinoises et les valeurs technologiques se sont particulièrement distinguées.

Les facteurs qui ont pesé favorablement sont nombreux. Nous soulignons la poursuite de la décrue des prix énergétiques, surtout ceux du gaz naturel, le processus désinflationniste confirmé aux États-Unis (accompagné d’une moindre progression du coût du travail), la stabilisation des taux d’intérêt à long terme et des anticipations des taux directeurs futurs des banques centrales (malgré leurs discours toujours fermes dans leur combat contre l’inflation). D’autre part, les signaux macroéconomiques qui crédibilisent le scénario d’une récession courte et modérée (voire même un ralentissement sans récession) et la perspective d’une reprise économique en Chine dès le printemps prochain (fin de la stratégie « zéro Covid ») favorisent le regain de confiance. Pour terminer, le démarrage de la saison des publications des résultats des entreprises cotées et les premières prévisions pour l’exercice 2023 semblent éloigner le spectre d’un fort recul des profits pour l’année en cours.

Après un tel rallye de début d’année, la valorisation des marchés est-elle compatible avec l’ensemble des risques qui pèsent sur l’économie mondiale ?

Des signaux rassurants

Ne boudons pas notre plaisir : nous devons admettre que les facteurs macroéconomiques se sont améliorés ces dernières semaines ! Certes, le choc énergétique de l’an dernier a conduit à une brutale correction des productions manufacturières en Europe (5 à 20% selon les secteurs), basculant rapidement dans la morosité les pays dont l’industrie a un poids significatif dans la valeur ajoutée, en particulier l’Allemagne. Mais la plus grande part de la facture de la crise énergétique (5% du PIB européen) a finalement été prise en charge par les déficits budgétaires, ce qui a atténué considérablement les effets délétères de ce choc sur la consommation des ménages et finalement le PIB (performance de la zone euro supérieure aux attentes au 4ème trimestre). Les commentaires des entreprises européennes sur leur niveau d’activité pointent plutôt vers un ajustement des stocks de la part de leurs clients, ajustement fort logique compte tenu du phénomène généralisé des commandes multiples au sortir de la crise Covid afin de sécuriser les approvisionnements. Toutefois, les entreprises n’évoquent pas, pour l’instant, un effondrement de la demande finale. Les raisons avancées sont multiples. Les carnets de commandes des entreprises profitent encore malgré tout de la reprise post-Covid. Après un choc inflationniste lié à l’insuffisance de l’offre (semi-conducteurs, énergie, transition écologique, chaînes de production en tension, conflit russo-ukrainien…), le redémarrage du cycle des investissements que permet la bonne santé financière des entreprises, qui compense en partie le resserrement des conditions financières, soutient les perspectives de croissance économique. Si récession il devait y avoir en Europe, elle pourrait s’avérer moins sévère qu’attendu.

Les récents commentaires du ministre allemand de l’économie, Robert Habeck, qui a revu ses prévisions de croissance de l’Allemagne en 2023 à la hausse (+0,2% contre une contraction de 0,4% prévue précédemment) sont à ce sujet plutôt encourageants. À ces bonnes nouvelles en Europe s’ajoute bien évidemment la perspective de reprise conjoncturelle de la Chine (18% du PIB mondial) après une année 2022 décevante (3% de croissance en volume) grâce à l’abandon de la stratégie « zéro Covid », et ce en dépit des freins structurels toujours présents (crise immobilière, poids de l’endettement, confiance des ménages fragilisée par la gouvernance publique, qui conforte le « vieux » modèle de développement tiré par les exportations et les investissements...). Du côté de la consommation privée, la situation américaine doit être soulignée (deux tiers du PIB). Le marché de l’emploi est toujours solide. La pénurie de main d’œuvre à laquelle les entreprises ont dû faire face au sortir de la crise sanitaire les a rendu prudentes : les programmes de licenciements se font attendre (est-il nécessaire de licencier si le ralentissement n’est que passager ?). Les pertes d’emplois dans le secteur de la technologie (Amazon, Microsoft, Salesforce, Alphabet…) doivent d’ailleurs être relativisées. Les difficultés de recrutement durant la période 2020-2022 ont conduit de nombreuses entreprises à diminuer les niveaux d’exigence à l’embauche. Les services de ressources humaines, dépassés par la course aux recrutements (souvent organisés à distance) jamais observée auparavant, profitent du ralentissement de l’activité pour se séparer des profils les moins productifs, notamment dans la vente et le marketing digital. Attention toutefois à ne pas surestimer la résistance du consommateur américain car son pourvoir d’achat s’est considérablement érodé (hausse des salaires sous l’inflation, inférieure à 5% l’an) ! L’épargne accumulée durant la crise sanitaire a été très largement utilisée pour préserver les volumes de consommation. Seule la poursuite de la désinflation - la meilleure arme pour garantir le pouvoir d’achat des ménages - couplée à une bonne résistance du marché de l’emploi permet d’espérer l’évitement de la récession aux États-Unis en 2023. En guise de résumé des évolutions que nous venons de décrire succinctement, nous signalons que le Fonds monétaire international a récemment relevé sa prévision de croissance mondiale pour 2023 à 2,9% en volume, soit un gain de 0,2% par rapport à sa dernière estimation d’octobre dernier.

Quelle est la conséquence d’un scénario de ralentissement économique moins sévère qu’attendu pour les marchés d’actions ? Le niveau d’activité est évidemment déterminant dans la définition de la trajectoire des profits des entreprises. Alors qu’il était parfaitement légitime en décembre dernier d’afficher une certaine prudence à l’égard d’un consensus qui attendait respectivement 2 et 5% de progression des résultats des entreprises européennes et américaines pour l’année 2023, ces prévisions sont devenues à présent plus crédibles. Certes, elles n’annoncent pas de fortes progressions des cash flows dans les prochains mois, mais elles reflètent des attentes des marchés raisonnables et plausibles, ce qui éloigne les risques de mauvaises surprises et de déceptions lors des annonces des résultats trimestriels des sociétés cotées. Les évolutions récentes des marchés du crédit (écarts de taux entre les émissions d’entreprises et les obligations souveraines), qui reflètent l’opinion des investisseurs sur la santé financière du secteur privé, sont d’ailleurs plutôt rassurantes. De plus, la confiance accrue dans les estimations du consensus nous permet d’être un peu plus constructifs à l’égard du marché américain qui pourtant ne peut être qualifié de bon marché à ce stade du cycle économique (rapport cours sur bénéfices moyens estimés en 2023 autour de 18,5, supérieur à la moyenne historique à 10 ans de 17 fois les résultats). La bourse de New York restera sans nul doute très sensible à l’évolution de la courbe des taux d’intérêt, et donc à la trajectoire de l’inflation dans les prochains mois. Le taux réel à 10 ans en dollar (après inflation anticipée) a reflué de 2% en novembre dernier à environ 1,25%, ce qui explique pour une grande part le rebond des actions américaines et des valeurs technologiques (+10% sur le seul mois de janvier).

L’accalmie sur le front des taux d’intérêt est le principal moteur de la hausse des marchés

Ces bonnes nouvelles macroéconomiques n’auraient pas été possibles sans un fort recul des prix énergétiques. C’est évidemment la très bonne surprise de ces dernières semaines. Les prix de gros du gaz naturel (premières échéances de livraison) sont de retour sur les niveaux d’avant le début du conflit russo-ukrainien. Bien que les enjeux de long terme demeurent (cf. nos précédentes notes mensuelles) et que la réouverture de la Chine devrait soutenir la demande d’hydrocarbures, il est évident que cette décrue généralisée des prix énergétiques offre une bouffée d’oxygène pour les entreprises et les ménages. La diffusion de ce contrechoc prendra évidemment du temps, selon les modalités des contrats de distribution, les politiques de couverture et les mesures gouvernementales.

Attention cependant à ne pas surinterpréter cette chute rapide des prix énergétiques ! Les marchés sont en réalité toujours tendus. Les besoins d’investissements dans les énergies renouvelables (plusieurs points du PIB mondial par an afin d’atteindre les objectifs de neutralité carbone) et les hydrocarbures (surtout dans le gaz naturel et le GNL) sont gigantesques pour espérer équilibrer l’offre et la demande en énergies primaires dans les prochaines années. Les prix resteront soutenus (en moyenne supérieurs aux niveaux pré-Covid) dans un contexte géopolitique qui n’offrira aucun soutien à court terme. La correction récente des prix énergétiques doit donc être considérée comme passagère. Celle-ci s’explique par l’hiver plutôt clément dans l’hémisphère Nord, par la contraction des productions manufacturières des industries électro-intensives (Europe), par le succès des pays européens dans la reconstitution de leurs stocks stratégiques de gaz naturel (en partie grâce au reroutage de méthaniers destinés initialement à la Chine), et par l’utilisation par les États-Unis de leurs réserves stratégiques de pétrole. En ce qui concerne les prix de gros de l’électricité, la reprise de la production nucléaire française (grâce au renfort américain et canadien de plusieurs centaines de soudeurs introuvables en Europe, conséquence fatale de la destruction d’une filière d’excellence) a été un facteur clé dans le rééquilibrage du marché.

La hausse des indices boursiers repose finalement sur l’idée centrale que le ralentissement économique sera modéré (et donc que les profits baisseront peu) et accompagné par une phase de désinflation confortée par la décrue des prix énergétiques et l’ancrage des anticipations d’inflation (absence de boucle prix-salaires), qui permet d’anticiper la fin proche du cycle de resserrement monétaire (stabilité des taux d’intérêt longs suivie d’une décrue). Ce scénario est évidemment le plus favorable pour les actifs risqués et particulièrement pour les actions.

Néanmoins, plus d’activité que prévu signifie aussi un risque accru sur la trajectoire de l’inflation. En particulier, le retour de la Chine (20% des importations mondiales de pétrole et de gaz naturel, plus de 50% des importations mondiales de minerai de fer et de métaux non ferreux) laisse craindre davantage de pression sur les marchés de l’énergie et des matière premières. N’oublions pas que l’objectif des banques centrales est bien de courber suffisamment la demande finale pour briser définitivement les pressions inflationnistes et ancrer les anticipations des agents économiques, ce qui passe inévitablement par une hausse du taux de chômage et dans certains pays par un refroidissement des marchés immobiliers. Si la demande de travail ne faiblit pas suffisamment, les salaires en hausse de 4 à 5% par an seront incompatibles avec l’objectif d’inflation de 2% de la Réserve fédérale et de la Banque centrale européenne (BCE). Autrement dit, les bonnes nouvelles macroéconomiques (meilleure résistance de l’économie au choc inflationniste) risquent bien de ne pas être du goût des banquiers centraux qui pourraient doucher les espoirs des investisseurs sur un éventuel pivot des politiques monétaires à la charnière des années 2023 et 2024 (ce qui est précisément reflété dans la courbe des taux d’intérêt en dollar).

Conclusion

Les premières réunions de la Fed et de la BCE de l’année 2023 donneront le ton pour le reste de l’année. Si la banque centrale américaine se sent plus à l’aise pour laisser entendre que le gros de la phase de resserrement monétaire est derrière nous et qu’une pause est envisageable (sans pour autant annoncer de baisse de ses taux directeurs avant la fin de l’année), il n’en va pas de même du côté de la zone euro où les pressions inflationnistes sont toujours bien présentes. Hors énergie, les prix progressent de plus de 7% sur un an, ce qui indique que les tensions se diffusent dans l’ensemble de l’économie, en particulier dans les services, les biens alimentaires et les produits manufacturés. Les aides budgétaires massives et l’absence de gains de productivité (les entreprises protègent leur profitabilité en réhaussant leurs prix de vente), qui distinguent la zone euro des États-Unis, n’aident en rien la BCE dans son combat pour revenir à sa cible de 2% en 2025. La bataille contre l’inflation n’est pas une sinécure. En ce début d’année, les marchés semblent avoir opté pour un scénario rose, celui d’une désinflation rapide accompagnée d’un atterrissage en douceur de l’économie (soft landing). Même si nous saluons les évolutions plutôt positives qui justifient le retour de l’appétit pour le risque, nous conseillons néanmoins aux investisseurs de rester vigilants et rigoureux dans leurs décisions d’investissement.


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