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Que faire après un rebond inespéré? Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2020-05-12

  • Retour de l'appétit pour le risque
  • Que reflète la valorisation des marchés ?
  • Partir des faits !
  • Conclusion

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RETOUR DE L'APPETIT POUR LE RISQUE

Les marchés ont fortement rebondi depuis leurs plus bas niveaux du mois de mars (au 30 avril : indice MSCI World + 28% en USD depuis le 23 mars, perte limitée à 15% depuis le début de l’année). Trois facteurs décisifs expliquent ce revirement inespéré de la situation : l’espoir d’un dépassement du pic de la pandémie (début avril en Europe, plus tardivement aux États-Unis) grâce avant tout aux mesures de distanciation sociale, l’ampleur des politiques budgétaires (plus de 3% du PIB mondial) et monétaires promptement mises en œuvre (assouplissements quantitatifs jamais vus dans l’histoire des pays riches), et pour terminer la perspective d’une sortie rapide bien que graduelle du confinement à partir du mois de mai dans de nombreux pays (reprise de l’activité), même si l’on constate un nouveau durcissement des mesures sanitaires dans certaines régions d’Asie (Singapour, Taiwan, Japon…). Nous verrons que les marchés intègrent ainsi un scénario de récession sévère mais plutôt brève par rapport aux standards historiques avec un retour à la normale en termes de volume d’activité et de bénéfices (niveau fin 2019) dès la fin de l’année 2020, ce qui nous semble très optimiste. Toutefois, la reprise des marchés boursiers n’est pas non plus exempte d’une bonne dose de prudence de la part des investisseurs, puisque les secteurs qui se sont le mieux comportés depuis le début de l’année sont la technologie, la santé et les secteurs de consommation non cyclique (alimentation) au détriment des segments les plus industriels et les plus cycliques de la cote (pétrole et gaz, matériaux de base, automobile, biens d’équipement, financières). Les cours de bourse des sociétés des secteurs du software, des services informatiques, des semi-conducteurs et du hardware sont proches de leurs niveaux de décembre ! Il en va de même pour les valeurs de la santé. La saison des publications des résultats du premier trimestre et les prévisions des sociétés capables de donner un objectif pour le reste de l’année malgré les nombreuses incertitudes, ont largement contribué à la divergence de comportement entre les différents segments de la cote.

QUE REFLETE LA VALORISATION DU MARCHE ?

Comment justifier le fait que l’indice mondial puisse se retrouver juste au-dessus de son niveau de décembre 2018 (et même très au-dessus pour le marché américain), alors qu’à l’époque les investisseurs s’inquiétaient de la solidité des fondamentaux économiques (craintes d’une récession qui s’avérèrent finalement exagérées), tandis qu’aujourd’hui la contraction de l’activité n’est pas seulement probable ou possible, mais absolument certaine, et surtout d’une ampleur qui n’était pas celle envisagée par les investisseurs les plus pessimistes il y a dix-huit mois ? Comment justifier que le rapport cours sur bénéfices attendus à douze mois de l’indice Europe Stoxx 600 soit à présent proche de 16, après le rebond du mois d’avril, c’est-à-dire peu ou prou son niveau observé juste avant la crise du Covid-19 ? Pour rappel, ce multiple de valorisation avait atteint un plus bas de 7,5 dans la crise de 2008-2009 ! Quant au marché américain, dont le quart de la valeur est lié au secteur technologique, ce même rapport dépasse 20, contre une moyenne à dix ans de 15. Attention : ces multiples de valorisation reposent sur des attentes de profits qui sont encore beaucoup trop élevées par rapport à la réalité du choc macroéconomique. Au début du mois de mai, le consensus s’attendait à une baisse des profits des entreprises européennes et américaines de respectivement 26% et 25% pour l’ensemble de l’année 2020 (indices Stoxx 600 et S&P 500), soit une révision à la baisse des profits par rapport aux attentes du début d’année de l’ordre de 35%. Or, lors de la dernière crise de 2008-2009, les révisions ont porté sur 40% de la masse des profits alors que l’activité mondiale ne se contractait que de 0,3% en volume en 2009 (en parité de pouvoir d’achat, avant un rebond de 5,2% en 2010). Les dernières projections du FMI avancent une récession mondiale de 3% du PIB cette année, suivie d’une reprise de 5,8% l’an prochain (source : FMI, Perspectives de l’économie mondiale, avril 2020). Son scénario de référence est fondé sur « l'hypothèse d'une atténuation de la pandémie au cours du deuxième semestre de 2020 et d'un relâchement progressif des efforts d'endiguement » ; il exclut donc un retour saisonnier de l’épidémie et une nouvelle vague de confinements dont peu de commentateurs ont relevé la nature quasi irréversible si le virus continue de circuler. En clair, le consensus n’a nullement terminé son travail d’ajustement. Selon les analystes d’ODDO, en tenant compte des mesures de soutien aux entreprises qui portent sur environ 25% de la masse des profits pré-crise, l’ajustement des attentes bénéficiaires devrait porter sur 55% des estimations du début d’année !

Sans l’intervention massive des banques centrales des pays riches, il nous faut bien reconnaître que le stress de liquidité aurait persisté et les indices n’auraient pas connu un rebond d’une telle vigueur. Mais il semble bien que les indices aient pris beaucoup d’avance sur le cycle ; différents indicateurs techniques pointent vers un appétit pour le risque éloigné des niveaux de capitulation. Dans les précédentes crises, la durée moyenne d’un marché baissier était de l’ordre de quatorze mois, et sa fin anticipait le rebond de l’économie avec environ cinq mois d’avance (écart entre le creux du cycle boursier et celui de l’activité), la bourse jouant son rôle classique d’indicateur avancé de la conjoncture. La très faible durée du dernier marché baissier, un mois à peine mais d’une ampleur certes exceptionnelle (-35%), joint à la valorisation atteinte après le rebond, laisse penser que les investisseurs parient sur une récession de l’ordre de quatre mois et anticipent déjà une vive reprise de l’activité dans la seconde moitié de l’année. Ce rallye boursier est clairement en danger car il repose finalement sur deux idées qui nous semblent suspectes à ce stade. La première est liée à l’hypothèse d’une disparition rapide et complète du virus (traitements efficaces et disponibles promptement et/ou conséquence d’autres effets) qui permet à la planète de prestement retrouver sa vie d’avant. La seconde idée affirme que l’économie mondiale est parfaitement capable d’absorber le choc et de préserver son rythme de croisière (croissance potentielle). Cette seconde hypothèse est peu crédible. La faiblesse durable de secteurs importants tels que celui du tourisme (12% du PIB des pays du sud de l’Europe), du transport aérien et des activités durablement touchées par les protocoles sanitaires et le renforcement des normes (commerce de détail, restauration, secteur du divertissement…), la situation alarmante de pays émergents frappés par des sorties de capitaux massives ou l’effondrement des prix des matières premières, et pour finir l’inévitable hausse de l’épargne de précaution des ménages et de l’endettement des entreprises (fragilisation extrême des PME et euthanasie des indépendants, freinage des investissements) vont conduire à une reprise beaucoup plus lente qu’espéré et à une dégradation de la croissance potentielle.  

PARTIR DES FAITS !

A l’occasion d’une crise d’une telle ampleur, il est tentant de vouloir décrire le monde d’après à partir de l’idée fort répandue selon laquelle « rien ne sera plus jamais comme avant ». Outre le fait que cette crise alimente une nouvelle fois quelques illusions voire certaines lubies, et consacre les déclinologues de tout bord, comme après la crise de 2008-2009, nous ne croyons pas que cet exercice soit d’une grande utilité pour ce qui nous occupe ici : dépeindre la toile de fond qui sera celle des prochains trimestres pour les marchés financiers. Nous nous proposons de nous limiter aux faits, uniquement aux tendances et aux facteurs les plus certains susceptibles d’influencer les marchés boursiers.

Question 1° Quels sont les secteurs boursiers favorisés par la crise ?

Les tendances sont claires lorsque l’on étudie les flux sur les ETF sectoriels et thématiques (fonds indiciels) : la technologie, la santé et les investissements socialement responsables labellisés ESG (Environmental, Social, Governance) ont les faveurs des investisseurs. Affirmer que la technologie est la grande gagnante de la crise est d’ailleurs devenu d’une banalité affligeante. La tendance à la digitalisation de l’économie était déjà forte avant la crise avec le développement rapide du cloud, du commerce en ligne, du streaming vidéo, de la cybersécurité, de l’internet des objets, des jeux en ligne, etc. La santé jouit pleinement de son statut de secteur refuge en période de récession et profite de perspectives favorables en termes d’investissements publics, par exemple dans les équipements et les produits de diagnostic. Les récentes publications des valeurs pharmaceutiques ont fourni une nouvelle preuve de leur résilience. Enfin, dans les investissements ESG, les investisseurs sont surtout intéressés par le « E », les investissements dans les solutions vertes et les technologies décarbonées. L’espoir de grands plans de relance publique centrés sur la transition écologique, notamment en Europe, explique en partie cet engouement.  

La concentration considérable des flux d’investissement dans quelques secteurs et quelques thématiques à la mode, en dehors de toute considération de valorisation, de risque et de calcul de rendement, doit toutefois nous alerter. Nous conseillons au lecteur de rester vigilant. Ces secteurs ne sont pas totalement immunisés contre la crise. Les GAFAM (acronyme pour Alphabet, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ne sont pas des substituts aux actifs sans risque !

Question 2° Quels sont les facteurs qui soutiennent les valorisations de la technologie ?   

Outre un environnement propice qui favorise les activités du secteur (cf. les résultats convaincants de Microsoft, Alphabet, ASML, Capgemini…), nous notons surtout l’extrême faiblesse des taux d’intérêt (impact actuariel considérable de la baisse du coût du capital sur la valorisation théorique des valeurs de croissance en général), et les cash-flows et bilans solides qui autorisent la poursuite des programmes de rachat d’actions (Microsoft, Alphabet, Apple…), alors qu’ailleurs nombreuses sont les sociétés à annoncer une interruption du versement de leurs dividendes et/ou de leurs programmes de rachat d’actions (faiblesse des cash-flows, pressions politiques et de l’opinion publique surtout à l’égard des entreprises bénéficiaires d’aides d’État). La baisse des taux joue un rôle prépondérant dans la sous-performance chronique des titres réputés value depuis une douzaine d’années (sociétés dont la croissance des revenus est faible). L’écart de valorisation entre les thématiques croissance et value atteint un niveau rarement égalé dans le passé.

Question 3° Les marchés américains vont-ils continuer à battre les indices européens ?

La bourse américaine a beaucoup mieux performé durant la crise et surtout depuis la fin du mois de mars (écart en faveur du S&P 500 supérieur à 10% depuis le début de l’année). Il s’agit pourtant d’une illusion d’optique. Corrigées des écarts de pondération sectorielle et de l’évolution de la parité EUR/USD, les différences sont peu significatives. Comparés deux à deux, les secteurs font montre de comportements similaires de part et d’autre de l’Atlantique : les segments industriels, l’énergie, les matériaux de base, la technologie, les financières, la santé, les biens de consommation non cycliques ou encore l’automobile ont des performances fort proches qu’ils soient européens ou américains. Néanmoins, alors que la bourse américaine est très pondérée en titres technologiques (26% du S&P 500 contre à peine 5% du Stoxx 600), l’Europe est davantage exposée aux secteurs fortement cycliques et aux financières (30% environ contre 20% du marché américain). En conséquence, l’investisseur doit avant tout réfléchir à son allocation sectorielle plutôt que géographique.

Question 4° Quels sont les facteurs à suivre absolument et dont l’évolution éventuellement défavorable impactera à coup sûr la performance des marchés boursiers ?

Plusieurs éléments sont de nature à porter atteinte à la profitabilité des entreprises au-delà même du choc d’activité actuellement observé. Nous considérons que ces thématiques sont plutôt absentes des préoccupations des investisseurs mais pourraient finir par prendre de l’importance dans les stratégies d’investissement.

4.1          Tout d’abord, les entreprises souffriront inévitablement d’une baisse de productivité et d’une hausse de leurs coûts liés aux protocoles sanitaires imposés après le confinement (renforcement inévitable des normes). Dans la construction européenne, Natixis estime le recul de productivité à 15% ! Deux solutions extrêmes s’offriront aux entreprises : soit absorber le choc (baisse des marges bénéficiaires), soit répercuter la plus grande part de la hausse des coûts dans les prix finaux. Le choc de demande est tel que nous n’imaginons pas les entreprises augmenter rapidement leurs prix de vente, mais c’est un sujet à suivre de près.

4.2          Après la crise de 2008-2009, l’économie mondiale a connu une baisse marquée de sa croissance potentielle. Le risque est de connaître une évolution analogue après la crise, notamment liée à une contraction des investissements des entreprises frappées par une hausse de leur endettement. Par ailleurs, le sauvetage de sociétés « zombies » par les États soucieux de préserver l’emploi à tout prix est de nature à diminuer l’efficacité économique. Un affaiblissement éventuel de la croissance potentielle de l’économie mondiale ne sera toutefois visible qu’au bout de quelques trimestres. Les années de reprise (2021-2022) connaîtront un taux croissance bien supérieur au rythme de croisière, et pourraient ainsi masquer la réalité des problèmes structurels durant un certain temps.

4.3          La question des salaires se pose partout. Alors que le chômage de masse guète à nouveau, ce sujet semble hors de propos. Pourtant, les pressions politiques et de l’opinion publique sont bien présentes, notamment en faveur d’une revalorisation dans les secteurs en première ligne durant la crise (santé, distribution…). Aux États-Unis, le candidat démocrate Joe Biden s’est exprimé en faveur d’une hausse du salaire minimum.

4.4        Nous avons déjà évoqué, avant la crise du coronavirus, l’intensification des critiques contre les dérives du libéralisme, du capitalisme et de la mondialisation, y compris dans les pays réputés les plus libéraux (États-Unis, Royaume-Uni) . Ces sujets dépassent le cadre strict de notre note mensuelle. Toutefois, la crise ne fait qu’accentuer une dérive vers l’illibéralisme qui menace clairement la profitabilité des entreprises et le niveau des indices boursiers. Le thème de la relocalisation d’une partie des capacités de production dans les pays riches est révélateur d’une méconnaissance complète des enjeux. Deux questions ne sont que trop rarement posées dans le cadre d’une problématique étudiée avant tout sous l’angle idéologique : les compétences de la population active occidentale ne sont-elles pas insuffisantes dans un monde technoscientifique ? Quels seraient les impacts sur les prix, l’inflation et donc les taux d’intérêt si la Chine cessait d’être le principal fournisseur des pays riches ? Les réponses apportées à ces deux questions rendent une démondialisation pratiquement inenvisageable dans un avenir proche.  

4.5          Les sujets géopolitiques ne doivent pas être mis sous le tapis. Les derniers développements indiquent qu’un retour des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis est parfaitement possible ; la détérioration des relations diplomatiques à l’occasion de la pandémie nous laisse envisager une véritable guerre froide entre deux pays qui revendiquent le leadership mondial. L’élection présidentielle américaine finira par se rappeler au bon souvenir des investisseurs. Le populisme est prêt à en découdre dès la sortie du confinement, en particulier dans l’Union européenne qui, jusqu’à présent, n’a pas particulièrement brillé durant cette crise (plan de relance coordonnée toujours dans les limbes).

Question 5° Les taux d’intérêt vont-ils rester bas longtemps ?

Les dettes publiques sont massivement monétisées (« helicopter money ») ; les banques centrales pilotent les taux d’intérêt à court et à long terme pour éviter une crise de liquidité et de solvabilité des agents économiques et surtout des États. Les dettes à taux nul accumulées sur le bilan des banques centrales et renouvelées sans cesse sont devenues des créances quasi perpétuelles dont la mathématique financière la plus élémentaire nous dit qu’elles valent zéro ! Autrement dit, dans les faits, la situation est fort comparable à une annulation pure et simple d’une partie des dettes publiques. Certains militent pour que cette situation soit actée une fois pour toutes. Le choc étant par nature déflationniste, il faudra de nombreuses années pour que la situation se normalise. Il semble prématuré de s’inquiéter du retour de l’inflation.

CONCLUSION

Les politiques d’assouplissement monétaire quantitatif ont permis aux marchés de rebondir vigoureusement. Il nous semble à présent que les prix ne reflètent plus les fondamentaux ; les marchés de taux sont manipulés par les banques centrales. Les actifs risqués reflètent un coût du capital qui nous semble incompatible avec l’ampleur de la crise. Contrairement aux krachs précédents, les maisons de gestion de fortune n’ont pas hésité à acheter des actions dans la phase de correction face à la pauvreté des alternatives d’investissement. Toutefois, les investissements se concentrent sur quelques secteurs et quelques grandes valeurs, notamment les leaders technologiques américains qui ne sont pas parfaitement immunisés face à la crise. Dès lors, nous ne pouvons que réitérer nos conseils de prudence et de patience alors que la sortie graduelle du confinement vient à peine de commencer.

 


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