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UN RÉVOLUTIONNAIRE À LA MAISON-BLANCHE Dominique Marchese, 2025-05-05

Mots-clés: Trump, US, UE, Tension, Tarifs.

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Le mois d’avril restera à coup sûr dans les annales des marchés financiers. Le « jour de libération » mis en scène par Donald Trump le 2 avril dernier a provoqué une chute sévère des indices boursiers, un affaiblissement marqué du dollar et de fortes tensions sur les taux de rendement des emprunts du Trésor. Dans l’esprit des investisseurs, le chaos déclenché par l’annonce de tarifs réciproques à des niveaux stratosphériques contre cinquante-sept pays remettait en cause, du moins en partie, l’exceptionnalisme de l’économie américaine et l’attractivité de ses marchés de capitaux. Donald Trump n’a pas été long à réagir face au risque de krach financier : sa volte-face du 9 avril (suspension pour nonante jours des tarifs réciproques à l’exception de ceux concernant la Chine, le tarif minimum de 10% restant en vigueur ainsi que d’autres droits de douane spécifiques) et l’apaisement affiché à l’égard du président de la Réserve fédérale ont permis le retour au calme. En dépit des incertitudes, Wall Street a finalement retrouvé ses niveaux d’avant le « jour de libération ».

Trump n’agit pas sans boussole

Au début du mois de mai, le niveau des marchés boursiers américains est loin d’évoquer une période de chaos et d’effondrement de la confiance des investisseurs dans les fondamentaux de l’économie américaine. Les principaux indices n’abandonnent que 5% depuis le début de l’année (en devise locale), les valeurs technologiques environ 10%, ce qui, compte tenu du niveau toujours élevé des incertitudes, n’est pas à proprement parler une catastrophe. Le principal indice mondial se paye le luxe de s’approcher de son niveau du 1er janvier ; les indices européens enregistrent des performances positives ! La situation est évidemment un peu plus contrastée pour les investisseurs qui doivent supporter l’affaiblissement marqué du dollar – en euro, l’indice mondial est en baisse de 8% depuis le début de l’année, New York abandonne environ 12%. Le rebond des marchés depuis la volte-face du 9 avril est impressionnant (près de 15% pour le principal indice de la bourse de New York, 18% pour les seules valeurs technologiques). Il témoigne de la conviction des investisseurs que la guerre tarifaire n’est qu’une période transitoire, que la raison finira bien par triompher, qu’aucun pays ne peut remettre sérieusement en question les avantages du libre-échange et la théorie des avantages comparatifs du célèbre économiste britannique David Ricardo (1772-1823) : l’issue nécessairement heureuse des négociations commerciales bilatérales aboutira à une détente généralisée des tensions. De fait, la valorisation des marchés financiers est à nouveau parfaitement compatible avec un rythme de croissance de l’économie mondiale proche de 3% par an, son allure des derniers trimestres, et une progression des profits des entreprises de 8 à 10% par an à long terme – à ce stade, le scénario d’un étiolement des marges bénéficiaires est exclu. Toujours selon le consensus, la récession qui pourrait frapper les États-Unis ne serait que technique, le résultat d’une forte progression des importations de précaution avant l’éventuelle hausse des tarifs douaniers – ce qui a par ailleurs déjà été observé au 1er trimestre –, et des inévitables reports d’investissement de la part des entrepreneurs dans l’attente d’y voir plus clair. Par conséquent, les investisseurs ne devraient pas accorder trop d’importance aux indices de confiance des consommateurs et des entreprises, certes très affaiblis depuis quelques semaines, mais qui devraient se redresser rapidement si les tensions commerciales ne sont pas de nature à altérer durablement les fondamentaux de l’économie américaine. Voici, résumé en quelques mots, l’état d’esprit des investisseurs un mois à peine après le « jour de libération ».

On ne peut que se réjouir du sang-froid et de la placidité des investisseurs face à Donald Trump adepte du chaos et de la tension maximale pour faire plier ses interlocuteurs. Mais avons-nous bien compris la tragicomédie jouée par une Administration au sens aigu de la mise en scène ? L’idée communément admise est que la Maison-Blanche a finalement reculé face à la chute de Wall Street – 60% des ménages américains détiennent des actions – et aux tensions sur les emprunts du Trésor. Ce consensus pourrait se révéler erroné. Pour commencer, Donald Trump a bien réussi à imposer le tarif douanier minimal de 10%, soit un plus haut niveau depuis la Seconde Guerre mondiale et contre un tarif moyen de 2,4% avant sa présidence. Avant le « jour de libération », le consensus estimait que ces 10% étaient négociables et compressibles ; il n’en est rien ! Ensuite, les investisseurs n’ont jamais cru que Trump était un doctrinaire attaché à un plan précis. Or les évènements des dernières semaines semblent au contraire indiquer que le projet de la Maison-Blanche est bien de remettre sérieusement en cause le modèle de développement économique des États-Unis des cinquante dernières années, et, chose réellement surprenante pour des observateurs habitués à l’immobilisme de la classe politique dans les démocraties occidentales, quel qu’en soit le coût à court terme, y compris dans les sondages. Les investisseurs n’ont jamais réellement pris au sérieux le programme politique de Donald Trump – en dehors des promesses de baisse d’impôt et de dérégulation –, ni les analyses jugées fantasques de ses principaux conseillers économiques. Pour finir, les critiques se sont multipliées sur l’amateurisme de la nouvelle Administration, insistant notamment sur le côté farfelu de la méthode de calcul des tarifs réciproques, qui n’est pourtant pas sans logique. Pour rappel, le tarif réciproque est calculé comme la moitié du rapport entre l’excédent commercial d’un pays à l’égard des États-Unis et les importations totales en provenance de ce pays. Ce calcul vise à prendre en compte non seulement les droits de douane respectifs mais également toutes les politiques protectionnistes qui entravent le commerce de produits américains, par exemple les normes environnementales et techniques. Nous rappelons que le facteur de 50% a conduit Donald Trump à qualifier ces tarifs de « gentils ». Quels sont les objectifs poursuivis dans ce rejet pur et simple du libre-échange qui est pourtant la boussole de l’économie mondiale depuis la chute de l’Union soviétique (accords commerciaux du Gatt de 1994) ? En effet, le tarif moyen de 120% appliqué à la Chine, très supérieur au calcul théorique de 34%, et excluant néanmoins quelques exceptions telles que les produits électroniques grand public et industriels, annonce clairement la fin du commerce avec ce pays. L’Administration Trump semble oublier que les excédents et les déficits commerciaux ne sont pas tant le résultat de droits de douane que la conséquence implacable de différentiels de productivité entre les nations. Les calculs plutôt théoriques mais particulièrement prégnants, et qui ont fait le buzz après le « jour de libération », sur le coût de production hypothétique d’un iPhone Apple sur le territoire américain, très supérieur à celui de son assemblage en Chine, a eu le mérite de rappeler cette évidence.

Une remise en cause fondamentale du modèle américain

Il est intéressant de noter que depuis fort longtemps les États-Unis ont été critiqués pour leur modèle de développement jugé déséquilibré et intenable à long terme. Grâce au « privilège exorbitant » de sa devise (déjà pointé du doigt par Valéry Giscard d’Estaing dans les années 1960, alors ministre des finances de la France), que garantit sa position de première puissance économique et militaire du monde, ce pays vit largement au-dessus de ses moyens, en témoigne la permanence des déficits jumeaux (budget fédéral et balance commerciale). Sa consommation intérieure, financée à crédit, trouve comme contrepartie les achats d’actifs en dollar de la part des non-résidents et des pays qui accumulent des excédents commerciaux, tels que la Chine et l’Allemagne. Pour offrir du pouvoir d’achat aux ménages, les importations massives de biens produits dans les pays à faible coût de main-d’œuvre ont longtemps compensé la faiblesse des salaires réels liée à l’insuffisance des gains de productivité (surtout avant 2022) – on retrouve la même politique en Europe. Tant que le dollar n’est menacé par aucune alternative sérieuse dans son statut de monnaie internationale (60% des réserves de change du monde), le modèle semble être appelé à durer. Or il n’a pas eu que des vertus. Tout d’abord le statut de première puissance militaire qui agit comme la réassurance du Monde libre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale – au grand bénéfice des pays qui consacrent leurs budgets au financement de l’État providence – signifie des dépenses publiques élevées (la défense représente encore aujourd’hui environ trois fois le budget de la Chine en dollar !), au détriment d’autres besoins de la société américaine. Ensuite, les importations massives, notamment de Chine, ont laminé des secteurs industriels entiers et entraîné une paupérisation de la classe ouvrière, le premier électorat de Trump dans la célèbre « Rust Belt ». La fragilisation du tissu industriel a conduit à une trop forte dépendance des États-Unis à l’égard de ses partenaires commerciaux, alors que la Chine a décidé de mener une politique de puissance concurrente. C’est particulièrement clair dans les terres rares (Chine), l’assemblage de produits électroniques (Chine), et les semiconducteurs (Taiwan). Certes, la déflation exportée par la Chine a permis de contenir l’inflation américaine et par voie de conséquence les taux d’intérêt des Treasuries à des niveaux raisonnables, mais elle a aussi alimenté les bulles d’actifs, l’instabilité financière et contribué à renforcer les inégalités patrimoniales. Donald Trump a clairement décidé de remettre en cause ce modèle de développement qui a pourtant permis d’attirer les talents étrangers, de préserver le leadership technologique et d’assurer l’extraterritorialité du droit américain. Les objectifs paraissent à première vue contradictoires et irréalistes : par exemple, faire baisser le dollar aurait pour conséquence une hausse des taux d’intérêt réels pour continuer d’attirer l’épargne du reste du monde (compensation exigée par les non-résidents contre le risque devise), mais c’est précisément ce que Donald Trump ne veut plus, en tout cas pas sous la forme d’achats d’obligations du Trésor comme contrepartie des excédents commerciaux des partenaires. Dans un contexte géopolitique mondial toujours plus menaçant, Trump cherche à développer un modèle résolument autarcique, sur le plan énergétique – c’est déjà le cas –, sur les plans industriel et technologique – par une relocalisation des sites de production, la seule maîtrise de la propriété intellectuelle étant insuffisante pour contrer la Chine –, et via une accumulation d’épargne domestique – par une forte contraction des dépenses publiques et un rétrécissement du périmètre d’action de l’État. Il s’agit bien d’un projet révolutionnaire dans le sens où, mené à son terme, il représente un virage à 180° par rapport au modèle existant. A court terme, il est difficile de concevoir que cela puisse se faire sans douleur pour la croissance économique et les marges des entreprises.

Evaluation des conséquences économiques

Évaluer les conséquences à long terme de la politique menée par l’Administration Trump paraît impossible. Trop de questions restent en suspens, notamment sur la vitesse d’exécution de son projet, sur l’issue des négociations commerciales et l’ampleur des droits de douane, sur les lignes rouges qu’elle se refuse à franchir (dans un premier temps), et aussi sur l’influence qu’auront les prochaines élections législatives de mi-mandat. A ce stade, nous ne pouvons que communiquer quelques prévisions des bureaux d’analyse économique consultés. Compte tenu des incertitudes sur les droits de douane après la période de suspension décidée le 9 avril, les fourchettes d’estimation sont larges. Selon les économistes de Berenberg, l’échec des négociations conduirait la croissance économique américaine à ralentir de plus de 1% à long terme, pour atteindre +1,4% ; si Trump revoit ses menaces à la baisse, la croissance potentielle serait de +1,6% (contre +2% auparavant). A plus court terme, la probabilité d’une récession américaine a nettement augmenté (50% selon JP Morgan) ; la perte de croissance est d’environ 1% à douze mois, selon le consensus. L’Europe ne perdrait que 0,3% à 0,5%, mais devrait profiter du plan de relance allemand en 2026. Attention toutefois au risque de submersion de produits chinois qui chercheront de nouveaux débouchés commerciaux – Shein, Temu et les constructeurs de voitures électriques sont les grands symboles de cette menace sur l’industrie européenne. Compte tenu de ses exportations vers les États-Unis représentant environ 2% de son produit intérieur brut (PIB), la Chine devrait voir sa croissance amputée de 0,5% à 0,9%.

Si les droits de douane moyens appliqués sont de 10%, l’économie mondiale ne s’effondrera pas, elle sera capable d’absorber le choc. On peut néanmoins se poser la question des marges des entreprises dans ce contexte incertain. Durant la pandémie, les entreprises ont démontré leur capacité à gérer les tensions dans les chaînes d’approvisionnement et à répercuter la hausse des coûts sur les prix finaux, voire bien davantage lorsque la demande soutenue artificiellement par les plans de relance dépassait de loin l’offre disponible. Les marges bénéficiaires avaient connu une hausse impressionnante qui alimenta en carburant les indices boursiers (et aussi l’inflation, ne l’oublions pas). Qu’en sera-t-il dans les prochains mois ? Pour les investisseurs, il s’agit sans doute d’une des questions les plus pertinentes. Comment les entreprises vont-elles absorber les perturbations dans les chaînes de valeur (pricing power) ? Comment vont-elles déployer leurs investissements ? Vont-elles délocaliser ou relocaliser aux États-Unis ? Comment les marges vont-elles évoluer dans cet environnement chaotique ? Nous aurons la réponse très rapidement, dans les prochaines publications trimestrielles. La seule chose dont nous soyons sûrs à ce stade est que les multiples de valorisation des indices boursiers, surtout ceux des États-Unis après le rebond, sont indéfendables si les marges bénéficiaires entament un cycle baissier face à une demande finale fragilisée par les incertitudes économiques. En guise d’illustration, sans adopter un scénario catastrophe (hypothèse d’une croissance des résultats nulle en 2025), appliquer le multiple moyen des dix dernières années (18) aux bénéfices de 2024 donnerait au principal indice de la bourse de New York un objectif théorique 20% inférieur au niveau actuel ! Actuellement, le consensus attend une progression des résultats des entreprises américaines de 9,5% en 2025, une très légère contraction par rapport à fin mars (-2%), ce qui semble optimiste.

Conclusion

Seule une allocation bien équilibrée est capable de traverser sans dommage la période d’incertitudes actuelle. Le mois d’avril est vu par beaucoup comme un épisode sans réelle gravité pour la dynamique de la croissance économique mondiale. Bien au contraire, la Maison-Blanche a démontré sa détermination à renverser la table, et à remettre sérieusement en cause, malgré le consensus en faveur du libre-échange, l’organisation du commerce mondial et le modèle de développement des États-Unis. Donald Trump va-t-il ralentir avant les élections de mi-mandat ou bien accélérer tant qu’il contrôle tous les leviers de pouvoir ? Il a placé l’action au cœur de sa politique, ce qui le distingue de nombreux leaders occidentaux accusés d’inertie et de faiblesse. Par ailleurs, son objectif de redressement de la capacité productive américaine montre son engagement à inscrire son projet dans le temps long (plusieurs années pour remplacer les importations par des produits américains), ce qui ne semble pas l’effrayer et tranche avec le « court-termisme» qui sert habituellement de boussole aux dirigeants du Monde libre. On peine à imaginer qu’il puisse s’arrêter au beau milieu du gué.


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