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Une année 2022 qui finit bien? Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2022-12-08

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Les investisseurs ont salué les derniers indices des prix à la consommation qui paraissent confirmer le début de la désinflation outre-Atlantique (hausse des actions américaines de plus de 10% depuis la mi-octobre). Les récents commentaires du président de la Réserve fédérale, Jérôme Powell, laissent espérer un ralentissement du cycle de resserrement monétaire. Néanmoins, la solidité du marché de l’emploi (licenciements dans le secteur privé à un niveau très bas à ce stade du cycle, légère accélération des salaires) reste préoccupante. Selon les calculs de la Fed, le déficit de main d’œuvre disponible est encore de 3,5 millions de travailleurs, ce qui explique la réticence des entreprises à réduire leurs effectifs malgré les pressions sur leurs marges bénéficiaires.

Sous la pression de la rue, la Chine a décidé d’assouplir sa politique de restriction sanitaire, alimentant les espoirs des investisseurs d’une reprise économique de l’empire du Milieu dans les prochains mois, après une année 2022 particulièrement décevante.

Avec la crise énergétique mondiale en toile de fond, la Conférence de Charm el-Cheikh sur le réchauffement climatique (COP27) n’a abouti qu’à des résultats mitigés en termes d’engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Elle a surtout mis en lumière le fossé entre les besoins gigantesques d’investissements dans le secteur énergétique d’ici à 2030 et la taille insuffisante des projets déjà décidés dans les énergies renouvelables et les énergies de transition (gaz naturel, nucléaire). Ce gouffre décrédibilise un peu plus l’accord de Paris de la COP21 de 2015. A plus court terme, les raisons d’anticiper des marchés du pétrole et du gaz naturel toujours tendus en 2023 sont nombreuses.

Après le rebond des dernières semaines, la bourse américaine est à nouveau plutôt chèrement valorisée (18 fois les résultats attendus en 2023). Le niveau actuel n’est justifiable que dans le scénario d’une récession courte et modérée accompagnée d’un processus de désinflation suffisamment rapide pour permettre à la Fed d’envisager la fin du cycle de resserrement de sa politique monétaire, suivie d’un éventuel pivot (assouplissement) dès le second semestre 2023. Les actifs européens offrent davantage de valeur.

Désinflation et pivot de la politique monétaire américaine

Les investisseurs ont vivement réagi à l’annonce des chiffres d’inflation du mois d’octobre aux États-Unis. Face à un indice CPI (Consumer Price Index) en hausse de 7,7% sur un an, contre des attentes à +8% et un indice à +8,2% le mois précédent, les marchés ont voulu voir les premiers signes de désinflation. L’indice CPI sous-jacent (hors prix énergétiques et produits alimentaires) connaît une décélération à +6,3% contre +6,6% au mois de septembre. Les prix à la production ralentissent également.

Ces bonnes nouvelles ont eu des conséquences importantes. Elles ont renforcé la crédibilité de la Réserve fédérale américaine dans sa lutte contre l’inflation (bien aidée par la politique budgétaire plus restrictive de Washington), et confirment que le pic d’inflation est déjà franchi outre-Atlantique (contrairement à l’Europe). Le taux réel à 10 ans en dollar a reflué sous le niveau de 1,5%, ce qui a soutenu les marchés obligataires et les actifs risqués. Alors que les marchés ont acté le ralentissement économique voulu par les banques centrales pour briser l’emballement des prix et ancrer les anticipations des agents économiques, les regards se portent sur les statistiques d’inflation et les marchés de l’emploi. Il est intéressant de noter que le président de la Fed a reconnu la grande inertie de la composante « services de logement » (30% de l’indice CPI). Cette dernière continue de progresser alors même que le marché américain de l’immobilier s’est déjà retourné sous l’effet d’une forte hausse des taux hypothécaires à plus de 7%. Jerome Powell a laissé entendre que la Fed est prête à ralentir son processus de resserrement monétaire, ce qui a alimenté les espoirs d’un pivot de la politique (assouplissement) avant la fin de 2023.

Même si les entreprises, qui se souviennent de leurs difficultés à recruter après la crise sanitaire, sont réticentes à réduire trop rapidement leurs effectifs (en-dehors des géants de la tech), le marché de l’emploi (indicateur retardé du cycle économique) devrait finir par rassurer les autorités monétaires : les entreprises américaines n’hésiteront pas à licencier si leurs marges bénéficiaires sont par trop menacées (ralentissement de l’activité et baisse de la productivité). Le point important à garder à l’esprit est l’absence d’emballement des salaires dans le monde à ce stade du cycle (hausse moyenne autour de 5% par an). Leur progression reste en réalité bien inférieure à l’inflation, ce qui permet d’affirmer que le choc inflationniste n’est nullement comparable à celui des années 70 (époque caractérisée par une forte indexation des salaires sur les prix à la consommation, alimentant la boucle prix-salaires).

Nous terminons par quelques mots sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne dont le modèle interne de prévision de l’inflation s’est lourdement trompé en 2022, puisque la hausse des prix cette année a dépassé de 8% sa prévision de la fin 2021, qui était en ligne avec sa cible de 2%. La crédibilité de la BCE n’en a pas trop souffert (cf. les anticipations des agents économiques à long terme). A sa décharge, sur les 8% d’écart entre sa prévision d’il y a un an et la réalité observée :

  • 3% sont liés au gaz naturel et son impact sur les prix de l’électricité (mécanisme européen de fixation des prix basé sur le coût marginal de production de la dernière centrale à gaz mise en service pour équilibrer l’offre et la demande),
  • 3% sont directement associés aux perturbations dans les chaînes de valeur (crise sanitaire et guerre en Ukraine),
  • et seulement 2% s’expliquent par la vigueur du marché de l’emploi et la demande finale (source : ODDO).

Ce qui sauve la BCE est bien évidemment l’absence de boucle prix-salaires en Europe, l’ancrage des anticipations, et le probable retournement de plusieurs facteurs (atténuation des frictions dans les chaînes d’approvisionnent, demande contrainte par la baisse du pouvoir d’achat des ménages, effets de base favorables sur les marchés de l’énergie et des matières premières, raffermissement récent de l’euro face au dollar). Autrement dit, la projection médiane d’inflation de 2,2% fin 2024 n’est pas déraisonnable et permet aux investisseurs d’espérer une somme modérée de relèvements des taux directeurs pour atteindre un niveau un peu supérieur à ce qui est considéré comme la zone de neutralité (autour de 2%), avant le probable resserrement quantitatif (diminution de la taille du bilan de la BCE). Dans ce scénario, les taux réels européens (après inflation) devraient rester suffisamment attractifs pour les actifs risqués et en tout cas inférieurs à ceux en vigueur aux États-Unis.

Marchés de l’énergie : n’oublions pas la Chine

Nous avons déjà abondamment décrit les enjeux énergétiques dans nos précédentes notes. Depuis les records établis cette année, les prix du pétrole, du gaz naturel et de l’électricité se sont fortement détendus, sans toutefois revenir aux niveaux d’avant le début de la guerre en Ukraine. L’utilisation des réserves stratégiques pour équilibrer l’offre et la demande de pétrole brut aux États-Unis, le succès incontestable des pays européens dans le restockage de leurs réserves de gaz naturel avant l’hiver (en partie avec du gaz russe, ce qui ne sera plus possible en 2023), les températures plutôt douces jusqu’à la mi-novembre, la faiblesse inattendue de l’économie Chinoise (politique déraisonnable du zéro Covid et crise immobilière) et la contraction de la demande industrielle (notamment en Allemagne) expliquent en grande partie ce reflux des prix énergétiques qui constitue une réelle bouffée d’oxygène pour les consommateurs. Si les enjeux à long terme sont toujours bien présents (transition énergétique, insuffisance des investissements dans le gaz et le pétrole depuis 2015, délai de minimum 3 à 5 ans pour que les nouvelles capacités dans le GNL puissent compenser la fin des importations de gaz naturel russe en Europe, production américaine d’hydrocarbures décevante et toujours contrainte par le resserrement des conditions financières…), trois sujets seront particulièrement prégnants à plus court terme :

  1. L’évolution des températures dans l’hémisphère Nord l’hiver prochain reste évidemment un point d’interrogation (risques de blackout ou du moins de délestage en Europe) et devrait alimenter la volatilité des prix énergétiques.
  2. L’embargo de l’Union européenne sur le pétrole brut russe et les produits pétroliers (notamment le diesel) à partir respectivement du 5 décembre et 5 février aura inévitablement un impact sur les prix mondiaux des hydrocarbures (davantage que le plafonnement à 60 dollars le baril décidé récemment par l’UE et le G7).
  3. La réouverture annoncée de la Chine (abandon progressif de la désastreuse politique du zéro Covid, fin des confinements non ciblés, net relâchement des restrictions sanitaires) laisse augurer le retour de l’empire du Milieu sur les marchés de l’énergie.

Car c’est bien le ralentissement de l’économie chinoise qui a permis aux Européens d’acheter à prix d’or le GNL de quelques méthaniers pour remplir leurs stocks stratégiques. La contestation sociale, qui a touché la plupart des grandes villes chinoises et concerné la jeunesse autant que les ouvriers, a fini par faire plier Xi Jinping malgré le caractère franchement orwellien du régime (les réseaux sociaux ont eu le plus grand mal à maîtriser le flux des vidéos subversives alors que la retransmission légèrement différée de la coupe du monde au Qatar était expurgée des images de supporters en liesse non masqués !). Les conséquences néfastes sur la production industrielle expliquent sans doute le revirement des autorités chinoises (cf. les tensions chez Foxconn, le principal sous-traitant d’Apple qui réfléchit sérieusement à des plans de réorganisation de ses chaînes de valeur en-dehors de la Chine). Faisant fi de la couverture vaccinale insuffisante de la population âgée (seulement 40% des plus de 80 ans ont reçu une troisième dose), Pékin s’inquiète à juste titre des conséquences des restrictions sanitaires sur la compétitivité des entreprises exportatrices. Même si les manifestations sont restées finalement contenues dans un pays de 1,4 milliard d’habitants, un coin a été enfoncé dans le pouvoir absolu de la faction politique de Xi Jinping qui contrôle la totalité du Politburo du PCC depuis son XXème Congrès.

Si la réouverture de la Chine est une bonne nouvelle pour la croissance mondiale et la fluidité des échanges commerciaux internationaux, elle annonce également le retour d’un compétiteur important sur les marchés de l’énergie (notamment celui des cargos de GNL non couverts par des contrats à long terme). Ceci ne fera pas les affaires des Européens…

Par conséquent, il est raisonnable de s’attendre à ce que les prix de l’énergie restent soutenus en 2023 sans toutefois atteindre les records enregistrés en 2022, même dans l’hypothèse d’un ralentissement économique. 

Conclusion

La confiance affichée par les marchés ces dernières semaines repose sur deux idées-forces:

  1. La première affirme que la récession annoncée sera modérée, plus proche d’une stagnation, et sera peut-être même évitée de justesse aux États-Unis grâce à la solidité du marché de l’emploi et les carnets de commandes bien garnis des entreprises. Du côté de l’Asie, les investisseurs se sont mis à espérer une réouverture progressive de la Chine (assouplissement des restrictions sanitaires). L’Asie devrait compter pour une part importante de la croissance mondiale l’an prochain. Toutefois, la reprise du second semestre 2023 devrait aussi être modeste, sans rapport avec le fort rebond observé après la fin de la crise sanitaire.
  2. La seconde idée suppose que la banque centrale américaine est proche, sinon du point de bascule de sa politique monétaire (le fameux pivot vers un assouplissement), du moins d’une phase de ralentissement dans le cycle de resserrement des conditions financières. Seul le démarrage de la désinflation qui devrait voir son rythme s’accélérer à partir du printemps 2023 (effets de base importants) permet d’envisager ce scénario. Dans ce cas, les marchés auraient déjà correctement anticipé le prochain pic des taux d’intérêt directeurs autour de 5% en dollar. Après une année 2022 marquée par la forte volatilité des taux d’intérêt et le choc inflationniste, l’exercice 2023 devrait, toujours selon le consensus, être synonyme de baisse de l’inflation et d’accalmie sur les marchés obligataires. Ceci explique d’ailleurs l’engouement récent des investisseurs pour le segment investment grade des obligations d’entreprises (faible risque de défaut).

En résumé, il est sans doute déraisonnable d’être exagérément prudent au sujet des perspectives économiques et boursières de 2023. Même si la valorisation de la bourse américaine est devenue trop généreuse pour admettre le moindre incident de parcours dans les prochains mois (récession plus sévère, nouveau choc inflationniste, politique monétaire plus restrictive qu’attendu…), nous pensons à ce stade que les plus bas niveaux du marché baissier ont été atteints en 2022 et qu’il est peu probable qu’ils soient à nouveau testés.

Certes, le conflit en Ukraine reste un énorme point d’interrogation. Les enjeux autour de la transition énergétique et les conséquences néfastes du partage du monde en deux blocs résolument hostiles sur la mondialisation (l’un autour des démocraties libérales, l’autre antioccidental autour de la Chine et de la Russie) dessinent une toile de fond peu réjouissante pour les marchés. D’un autre côté, la crise énergétique et la restructuration des chaînes de valeur créent de gigantesques opportunités d’investissement. Gardons à l’esprit que le choc inflationniste est d’abord et essentiellement un problème d’insuffisance de l’offre et non pas le reflet d’une surchauffe de la demande. L’exemple le plus emblématique est celui du secteur automobile pénalisé par la pénurie de composants électroniques et de chauffeurs de camions de transport en Europe. Pour régler cette question dans une optique de long terme, les pouvoirs publics devront tout mettre en œuvre pour soutenir le cycle d’investissement et la production dans les prochaines années (innovation technologique, réglementation, compétences de la population active, accès aux financements), de quoi espérer une reprise économique après l’inévitable récession technique qui nous attend cet hiver ou le printemps prochain.


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