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Les marchés tiennent le cap Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2021-06-11

  • 2011 : l’erreur historique de la Banque centrale européenne
  • Les investisseurs face à la question du « tapering »
  • Conclusion

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2011 : l’erreur historique de la Banque centrale européenne


En  2011, au beau milieu de la crise des dettes souveraines qui menaçait jusqu’à l’existence de la zone euro, la Banque centrale européenne décidait de resserrer sa politique monétaire. Le rapport annuel de la BCE expliqua par la suite les défis auxquels elle était confrontée dans les termes suivants : « Les tensions inflationnistes se sont accrues en raison de la hausse des cours des matières premières, ce qui aurait pu déclencher un processus inflationniste généralisé dans un contexte de reprise économique. Les risques pesant sur les perspectives d’inflation à l’horizon pertinent pour la politique monétaire qui ont été identifiés par l’analyse économique se sont orientés à la hausse. De plus, alors que l’analyse monétaire indiquait que le rythme sous-jacent d’expansion monétaire restait modéré, la liquidité monétaire demeurait abondante, ce qui aurait pu permettre aux tensions sur les prix de se manifester. Afin de contenir ces risques, le Conseil des gouverneurs a relevé les taux d’intérêt directeurs de la BCE à deux reprises, en avril et en juillet, de 50 points de base au total » (source : BCE, rapport annuel 2011, page  17).   Il s’agit sans aucun doute d’une des plus grandes erreurs de politique monétaire jamais observées dans l’histoire récente. Obnubilés par les effets de second tour (inflation autoalimentée par les anticipations des agents économiques), les faucons de l’époque, sous la présidence du dogmatique Jean-Claude Trichet, réussissaient le tour de force d’aggraver encore un peu plus la crise des dettes souveraines en appliquant à la lettre une doctrine complètement dépassée. Il faudra l’intelligence et le pragmatisme de son successeur Mario Draghi (cf. son fameux « What ever it takes » de juillet 2012) et la mise à l’écart des faucons décrédibilisés pour éviter un effondrement de la monnaie unique. Quelle fut la plus grossière erreur d’appréciation de la BCE sous l’ère Trichet ? Il s’agit, sans l’ombre d’un doute, d’avoir systématiquement surestimé les risques d’emballement de l’inflation, qui n’a depuis lors jamais atteint l’objectif de la BCE (en dehors de courtes périodes influencées par les prix volatils de l’énergie et de l’alimentaire, l’inflation annuelle est restée inférieure à 2%) ! Alors que la reprise économique mondiale de 2010-2011, qui suivait la crise des subprimes, alimentait une hausse mécanique des prix des matières premières, de puissants moteurs déflationnistes restaient toujours à l’œuvre. Les banquiers centraux européens les ont très largement sous-estimés. Nous rappelons pour commencer les effets de la mondialisation avec la Chine comme facteur déflationniste ou pour le moins désinflationniste dans un monde essentiellement ouvert au commerce mondial - l’inflation est avant tout un phénomène global et non local dans des économies complètement ouvertes à la concurrence étrangère, où l’équilibre entre l’offre et la demande est satisfaite grâce aux importations en cas de nécessité. Ensuite, les conséquences de la dérégulation dont l’Union européenne a été le fer de lance (ouverture à la concurrence de nombreux secteurs pour que les consommateurs profitent pleinement de la baisse des prix dans les télécommunications, l’énergie, les transports…mais aussi la tendance de fond à la dérégulation du marché du travail). Pour finir, la BCE a sous-estimé la faiblesse structurelle de la demande intérieure européenne et l’excès d’épargne. Evidemment, il n’y eut aucun effet de second tour, c’est-à-dire aucun emballement des anticipations d’inflation par les agents économiques de l’époque. Cet épisode peu glorieux couplé à la crise des dettes souveraines retarda la reprise économique européenne de deux ou trois ans par rapport au cycle mondial. Ironie de l’histoire, en 2015, à la faveur de la dévaluation du yuan, les craintes de déflation refaisaient leur apparition !

Dix ans après la bourde historique de la BCE, les investisseurs  entendent un tout autre discours alors même que les commentaires du rapport annuel de 2011 semblent pourtant bien coller au contexte actuel. Tandis que la sortie de la crise sanitaire alimente une reprise plus robuste qu’espéré, que les stocks sont au plus bas, que les matières premières et les prix à la production alarment les entreprises, que les goulets d’étranglement se multiplient dans de nombreux secteurs et que les anticipations d’inflation des agents économiques sont déjà revenues à leurs niveaux d’avant la crise du Covid-19, les banquiers centraux affirment avec force que les tensions inflationnistes ne seront que passagères, transitoires, qu’elles s’expliquent par des effets de base et s’estomperont mécaniquement à partir de la fin de l’année, et surtout que les effets de second tour (emballement des anticipations) ne sont nullement à craindre. C’est le message véhiculé par la Réserve fédérale, mais aussi par la BCE au beau milieu d’un expansionnisme budgétaire et monétaire sans précédent. Pourquoi, aujourd’hui, les investisseurs devraient-ils avoir confiance dans les projections des banques centrales alors qu’elles ont surestimé l’inflation durant de nombreuses années (un peu moins du côté de la Fed) ? Faut-il craindre le passage de la thématique « reflation » (stimulation de l’économie par des politiques de soutien monétaire et budgétaire) positive pour les marchés boursiers à une thématique « changement de régime structurel des prix », ce qui serait inévitablement un cauchemar pour les actifs financiers ? Sans doute pas à court terme, mais ce sujet peut alimenter la volatilité des marchés financiers très dépendants de la liquidité créée par les banques centrales.

 

Les investisseurs face à la question du « tapering »


La question de l’inflation est d’une grande complexité. De nombreux moteurs qui expliquent la faiblesse structurelle de l’inflation dans les pays de l’OCDE depuis plusieurs décennies n’ont pas disparu. Patrick Artus, économiste en chef de Natixis, expliquait récemment que la faiblesse des salaires (par rapport aux gains de productivité) fut un facteur déterminant dans la modération de l’inflation. Or, rien pour le moment ne milite pour un emballement généralisé et durable des salaires, même si le sujet est éminemment politique car il renvoie à la question du partage équitable de la valeur ajoutée entre les salariés et les actionnaires. Le consensus des économistes reste ainsi celui d’un pic d’inflation temporaire qui s’explique autant par la violence du choc de la crise sanitaire que par la rapidité et la vigueur du rebond de l’activité mondiale. 2022 devrait connaître un début de retour à la normale, c’est-à-dire au régime d’inflation qui prévalait avant 2020. Néanmoins, on ne peut nier que les pressions inflationnistes qualifiées de transitoires sont aujourd’hui clairement plus fortes qu’anticipé il y a quelques mois à peine. La crise économique consécutive à la pandémie et aux fermetures plus ou moins strictes des économies démontre une grande réversibilité, ce qui surprend de nombreux observateurs, car aucune crise financière n’est finalement venue s’ajouter au Sars-Cov-2  (pas de récession induite par une crise du crédit par exemple). La Chine a déjà dépassé son niveau d’activité pré-Covid durant l’été 2020. Les États-Unis sont près de rattraper leur retard. Seule l’Europe est encore loin du compte, mais les bonnes surprises sont bien devant nous. Les tensions sur les prix tendent ainsi à se diffuser dans l’ensemble de l’économie, y compris dans les services qui souffrent par exemple d’une hausse des bas salaires aux États-Unis où la main d’œuvre disponible s’est faite plus rare à la faveur d’allocations de chômage particulièrement généreuses, un phénomène que les investisseurs espèrent passager. Pour préserver leurs marges, les entreprises sont de fait plus enclines à remonter leurs prix de vente.

Fort heureusement, les pénuries observées dans de nombreux secteurs trouveront bien évidemment une réponse dans la reprise des investissements, ce qu’illustre le secteur des semi-conducteurs. Les plans de relance aideront à soutenir l’offre, par exemple celle des batteries pour voitures électriques. En réalité, la crise n’a pas détruit massivement du capital investi (pas de démarrage d’un cycle de faillites et de destructions de capacités de production) et les taux de chômage restent encore élevés, ce qui milite plutôt pour une certaine dose d’optimisme sur l’équilibre entre l’offre et la demande et in fine sur les prix à la consommation.

Au-delà des débats sur l’inflation qui ne seront définitivement tranchés que lorsque les économies auront recouvré leur rythme de croisière (pas avant 2022 en Europe), c’est surtout le comportement des taux d’intérêt qui doit nous intéresser ici. Si les investisseurs font preuve de davantage de sérénité ces dernières semaines, en témoigne la stabilité des taux longs souverains, c’est surtout grâce au travail de communication des banquiers centraux. Cependant, la question de la durabilité des politiques monétaires ultra-accommodantes va inévitablement se poser, sans doute dès cet été du côté de la Réserve fédérale, et bien sûr plus tardivement dans la zone euro puisque son économie est en gros 5% en-dessous de son niveau pré-covid. Alors que les marchés devraient continuer d’adhérer au scénario d’une reprise transitoire de l’inflation, le thème du tapering  (réduction du rythme des achats de titres par les banques centrales) devrait devenir plus prégnant au fur et à mesure du rattrapage des économies, alimentant la volatilité des marchés financiers. N’oublions pas que le taux des obligations du Trésor de maturité dix ans en dollar dépassait 3% fin 2018 ! Le niveau actuel autour de 1,60% ne reflète absolument pas les fondamentaux de l’économie américaine. Les banquiers centraux devront agir avec prudence afin d’éviter des mouvements de panique. Néanmoins, face à une inflation qui devrait avoisiner 4,5 à 5% à la fin du deuxième trimestre et une activité en fort rebond, la Fed ne pourra faire l’économie d’une revue de sa politique monétaire dans une direction plus restrictive et, dans la foulée, d’une préparation des esprits au tapering  progressif dès le début de l’année 2022.

Conclusion

 

Notre conclusion du mois dernier est toujours d’actualité. Les marchés américains et les valeurs de croissance en général restent à la merci de brusques mouvements de stress liés à l’inflation, aux taux d’intérêt et aux politiques monétaires. Même si à ce stade nous n’avons que peu d’éléments pour penser que les tensions inflationnistes sont plus structurelles que seulement passagères, nous ne pouvons exclure de courtes périodes plus volatiles. Nos modèles théoriques de valorisation indiquent d’ailleurs que les actifs américains sont correctement valorisés et n’offrent plus de potentiel d’appréciation suffisant à court terme, alors que les actions européennes proposent davantage de valeur et seront probablement soutenues par une politique monétaire de la BCE qui restera plus longtemps plus accommodante que celle de la Réserve fédérale. La thématique value, qui a bénéficié d’une réelle inflexion à l’occasion des annonces sur les vaccins en novembre dernier, devrait continuer d’être soutenue durant la phase de reprise cyclique de l’activité.

 

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