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Septembre : le grand « reset » Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2022-10-11

Mots-clés:  taux d’interêt réels, banque centrale, récession, inflation, Fed, BCE, politique monétaire, etc.

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« Nous recommandons la plus grande prudence tant que les marchés n’auront pas accepté l’idée que la lutte contre l’inflation passera inévitablement par une politique monétaire plus restrictive et un ralentissement prononcé de l’économie… Si les marchés ont réellement cru durant l’été à la fin du marché baissier, c’était pour le moins largement prématuré. Le symposium de Jackson Hole a finalement remis les pendules à l’heure. Le resserrement des politiques monétaires sera plus douloureux et plus long ; la croissance économique sera davantage impactée. Pour finir, l’économie de bulles qui a favorisé les marchés financiers depuis la crise des subprimes de 2008 est bien derrière nous, ce que de nombreux investisseurs ont le plus grand mal à accepter. » Ce fut la conclusion de notre analyse du mois dernier.


Septembre fut effectivement l’occasion pour les investisseurs d’une remise à plat de leurs anticipations en matière de taux d’intérêt, de croissance économique et de bénéfices des entreprises. Si cet ajustement aux conséquences brutales (baisse d’environ 10% des principaux indices boursiers, forte hausse des taux d’intérêt réels) semble bien engagé du côté des taux courts en dollar, suite au dernier resserrement des conditions monétaires de la Banque centrale américaine, le processus n’est sans doute pas terminé du côté des prévisions des résultats des entreprises, qui dépendent de la trajectoire de l’activité mondiale. Si la guerre en Ukraine ne venait pas sérieusement renforcer les niveaux de stress et d’incertitude, nous pourrions envisager avec prudence un renforcement progressif des actifs risqués qui offrent, dans certains secteurs, des valorisations déjà compatibles avec un scénario de récession de plus en en plus difficile à écarter.

De l’importance des taux d’interêt réels

Depuis la résolution de la crise des subprimes, les marchés avaient pris l’habitude de parier sur le « put » de la Fed (Réserve fédérale américaine). Dans un environnement peu inflationniste - voire par moment déflationniste - , les investisseurs ont longtemps misé sur le caractère très accommodant des politiques monétaires et la réactivité des banques centrales à la moindre alerte sérieuse. En dehors de quelques tentatives de normalisation parfois rapidement avortées, les taux d’intérêt courts ont longtemps avoisiné 0%, alors que les taux longs demeuraient inférieurs à la croissance nominale de l’économie, ce qui facilitait son financement et garantissait la solvabilité des agents économiques endettés, en particulier celle des États. Aux États-Unis, le taux réel à 10 ans (l’écart entre le taux des obligations du Trésor et l’inflation anticipée sur une période de 10 ans) a longtemps oscillé entre -1% et 1% (avec un bref passage au-dessus de ce niveau fin 2018 avant le rétropédalage de la Fed début 2019). La pandémie a amené ce taux réel autour de -1%, propulsant la valorisation de marché de tous les actifs financiers, surtout celle des plus sensibles à l’évolution des taux d’intérêt à long terme.

Il ne faut jamais perdre de vue que les performances exceptionnelles des indices boursiers depuis mars 2020 ne sont pas uniquement dues au choc positif de profitabilité des entreprises lié à la reprise économique et à l’inflation – que les investisseurs préfèrent nommer « pricing power » des sociétés. La croissance des résultats et la bonne tenue des marges bénéficiaires n’expliquent pas tout. La disparition de la prime de terme sur les marchés obligataires (écrasement des rendements des emprunts à longue maturité sous l’effet des politiques d’assouplissement quantitatif) a joué un rôle majeur dans l’expansion des multiples de valorisation, en particulier aux États-Unis (poids élevé des secteurs de croissance). Ce fut le triomphe du mantra « TINA » (acronyme pour « there is no alternative ») qui poussait les investisseurs à prendre davantage de risques alors que les rendements réels des actifs réputés sans risque (emprunts souverains, mais aussi les obligations d’entreprise de bonne qualité notées investment grade) étaient négatifs. L’engouement suscité par les valeurs de croissance portées par les transitions numérique et énergétique a conduit à des bulles de valorisation qui se dégonflent depuis la fin 2021 (valeurs du cloud, des cryptoactifs, du changement climatique…). La force d’inertie des marchés, que nous évoquons depuis le printemps et qui a largement profité de la réouverture des économies post-Covid, s’est en grande partie volatilisée. Le rendement actuariel de l’obligation à 10 ans du Trésor américain avoisine 3,75% (+100 points de base depuis le début du mois d’août). Le taux réel à 10 ans en dollar s’est approché de 2%, son plus haut niveau depuis 2009, avant de redescendre vers 1,5% ! En clair, la baisse des indices n’a absolument rien d’exceptionnel, même si l’on fait fi de la guerre en Ukraine. La variabilité quotidienne des taux réels aux États-Unis explique la quasi-totalité des fluctuations des actions américaines. Les premières séances boursières du mois d’octobre sont de ce point de vue particulièrement éclairantes.

La bonne nouvelle : la crédibilité des banques centrales est intacte

Accusées non sans raison d’avoir réagi trop lentement face à l’inflation qui pointait déjà le bout de son nez avant le déclenchement du conflit en Ukraine, les banques centrales n’ont depuis eu de cesse de déclarer leur engagement ferme à garantir la stabilité des prix. Le resserrement des politiques monétaires vise ainsi à contraindre une demande artificiellement soutenue durant la pandémie par des politiques budgétaire et monétaire ultra-expansionnistes. Les autorités monétaires acceptent ainsi le risque de récession dans le but d’éviter tout dérapage des anticipations des agents économiques susceptible d’installer l’inflation structurelle sur une trajectoire très supérieure à 2 % par an (quelques économistes évoquent le risque d’une inflation durablement autour de 5% l’an).

La bonne nouvelle est que plusieurs facteurs qui alimentent l’inflation ont perdu de leur force depuis le printemps dernier, même si l’inflation sous-jacente (hors énergie et produits alimentaires) continue de surprendre négativement les prévisionnistes. Nous évoquions déjà dans notre note mensuelle du mois dernier la normalisation des chaînes de valeur (raccourcissement des délais de livraisons, désengorgement des ports, baisse des prix du fret…) et la correction des prix des matières premières (pétrole, métaux industriels) qui trouve son explication principalement dans la modération de la demande mondiale et les craintes de récession. Ce reflux des matières premières laisse augurer une décélération de l’inflation dans les prochains mois (effets de base). Les fortes hausses de prix observées au sortir de la pandémie, lorsque les acheteurs se préoccupaient davantage d’avoir simplement accès à des marchandises essentielles pour leurs besoins, peu importe les prix pratiqués par les producteurs, sont bien derrière nous. En guise d’illustration, aux États-Unis, le bois de charpente utilisé dans la construction a vu ses prix s’effondrer de 70% depuis leur sommet du mois de mars, alors qu’ils avaient triplé durant la pandémie. La forte hausse des taux hypothécaires (le taux à 30 ans atteint 6,7% contre 3% il y a un an) a considérablement refroidi le marché de la construction résidentielle.

En résumé, l’action de la banque centrale américaine semble efficace pour freiner l’économie (en témoignent les derniers indicateurs d’activité industrielle PMI) et faire refluer les prix. Toutefois, il nous faut rester prudents au sujet de l’inflation sous-jacente toujours soutenue par le marché de l’emploi encore tendu et les loyers qui pèsent pour près de 15% du déflateur des prix à la consommation suivi par la Fed, et qui ne réagissent qu’avec un retard de plusieurs trimestres aux prix immobiliers. L’inflation sous-jacente devrait refluer beaucoup moins rapidement que l’inflation totale directement affectée par les prix énergétiques.

Nombreux sont les investisseurs qui s’inquiètent de voir la Banque centrale européenne (BCE) adopter une politique monétaire restrictive similaire, ce qui est loin d’être le cas pour le moment (taux réels à court et moyen termes très négatifs, absence de contraction de son bilan), alors que le choc inflationniste de ce côté de l’Atlantique est d’abord lié à la crise de l’énergie, responsable d’environ la moitié de l’envolée des prix en zone euro depuis un an. Ils devraient néanmoins garder à l’esprit que la BCE n’est nullement soutenue par les autorités publiques qui continuent d’utiliser l’arme budgétaire pour soutenir l’économie. 2 à 2,5% du PIB européen sont dépensés par les gouvernements pour offrir aux consommateurs (ménages, industries) des boucliers tarifaires et des programmes de soutien à la demande. La position de la BCE est de ce fait beaucoup moins confortable que celle de la banque centrale américaine aidée dans sa lutte contre l’inflation par le gouvernement fédéral qui mène une politique budgétaire également restrictive. Les risques de voir l’inflation s’installer durablement en Europe ne sont donc pas totalement écartés. La faiblesse de l’euro face au dollar et la disparition des gains de productivité (insuffisants pour limiter la hausse des coûts unitaires de production) n’arrangent rien. Contrairement à celle de la réserve fédérale, la crédibilité de la BCE est clairement en jeu.

ACCALMIE SUR LE FRONT DES ANTICIPATIONS D’INFLATION…

… grâce à l’action vigoureuse des banques centrales, oui, mais nous pensons aussi à la situation ubuesque au Royaume-Uni : la Banque d’Angleterre a dû freiner sa politique de lutte contre l’inflation pour éviter une crise financière provoquée par la politique macro-économique farfelue du nouveau gouvernement conservateur conduit par la première ministre d’obédience thatchérienne Liz Truss. Très récemment, quelques investisseurs se sont mis à espérer que l’action de la Banque d’Angleterre ouvrait la voie à plus de modération de la part des banques centrales réputées soucieuses d’éviter de plonger l’économie dans une grave crise financière. Nous pensons que ces attentes sont pour le moment illusoires tant que l’inflation ne reflue pas rapidement. Gardons à l’esprit l’objectif de la Fed et de la BCE : un retour de l’inflation à 2% en 2024 contre 8 à 10% actuellement. À ce stade, il nous semble prématuré et dangereux d’espérer un changement radical de politique monétaire dès 2023 (diminution des taux directeurs), où même le début d’un discours plus accommodant de la part des banques centrales dans un proche avenir. Le fiasco britannique, qui ridiculise pour de bon le projet utopique d’un nouveau « Singapour sur la Tamise », ne peut servir de référence pour prévoir le comportement des grands argentiers de la planète. 

Conclusion

Rendue souhaitable par les fortes tensions inflationnistes, la récession économique devient le scénario le plus probable dans les prochains mois. Les effets d’inertie liés à la sortie de la pandémie sont près de disparaître. Si les secteurs les plus cycliques sont valorisés en bourse à des multiples qui reflètent bien cet environnement dégradé, l’ajustement des consensus bénéficiaires est loin d’être terminé. Les indices boursiers vont continuer d’être ballotés au gré des mouvements des taux réels et des avertissements sur les résultats des entreprises (cf. Nike, FedEx…). Les investisseurs aguerris savent que les points bas des marchés sont habituellement atteints environ six mois avant les récessions. Si la guerre en Ukraine ne venait pas alimenter les incertitudes, nous pourrions ainsi affirmer que les bourses sont sans doute proches de niveaux d’achat, à condition bien sûr que les taux réels se stabilisent et d’adopter un horizon d’investissement d’au moins trois à cinq ans. Les actions européennes sont valorisées à seulement 11 fois leurs résultats attendus en 2023 pour un rendement moyen des dividendes supérieur à 3,5%. Cela peut sembler a priori très attractif. Toutefois, le choc énergétique a considérablement affaibli la compétitivité de la zone euro qui s’efforce avec difficulté de favoriser la relocalisation d’industries stratégiques. Pas d’industrie compétitive sans énergie bon marché et abondante ! Du côté américain, les actions sont revenues à des niveaux de valorisation beaucoup plus raisonnables (15,6 fois les résultats estimés pour 2023, ce qui est cohérent avec le comportement des taux réels). Les attentes bénéficiaires sont toutefois encore optimistes (+6% l’an prochain) dans un contexte de resserrement des conditions financières ; les marges devraient refluer (moindre pricing power, pressions salariales, fragilisation de la demande de biens, force du dollar). Par conséquent, nous nous attendons à une poursuite de l’ajustement des anticipations dans les prochaines semaines (saison des publications des résultats du 3ème trimestre). En conclusion, nous conservons une opinion prudente tout en adoptant à présent une vision plus opportuniste sur les marchés (potentiel de baisse des indices plus limité, mise à profit de points d’entrée d’ici la fin de l’année).


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