
Mots-clés: IA, marchés, fed, climat.
Les espoirs de détente monétaire de la part de la banque centrale américaine, les attentes d’une fin des hostilités en Ukraine, l’expression d’une certaine dose de rationalité dans les performances des indices sectoriels technologiques et dans celles des valeurs individuelles (craintes sur l’éventualité d’une bulle d’investissement dans l’intelligence artificielle) semblent éloigner un peu plus le scénario d’une forte correction des marchés. Les prises de profits enregistrées durant le mois de novembre ont finalement été modestes. Les marchés financiers ont témoigné d’un intérêt très limité pour la dernière COP (Conférence des Parties) sur la lutte contre le réchauffement climatique.
Les craintes très médiatisées d’éclatement de la bulle IA ont la vertu de rendre les investisseurs plus prudents et sélectifs, ce qui éloigne de facto les risques d’un brutal décrochage des indices suivi d’un long marché baissier. Les gérants de portefeuille, davantage sensibles à la solidité des bilans et à la pérennité des cash flows, réduisent leurs expositions aux entreprises les plus risquées face au problème de la circularité et de l’endogamie dans l’écosystème de l’IA (financements par les fournisseurs de leurs clients, liens capitalistiques croisés, poids des engagements financiers hors bilan), aux métiers à plus faible valeur ajoutée (les opérateurs de datacenters par exemple), et même au leader mondial Nvidia, concepteur des puces GPU destinées à l’IA, dont la position concurrentielle est remise en question suite aux succès d’Alphabet enregistrés récemment avec son nouveau modèle de langage Gemini 3 entraîné à moindres coûts avec ses propres puces TPU. Les positions des leaders dans l’IA sont loin d’être figées, y compris dans les architectures des modèles génératifs, ce qui est une excellente nouvelle pour les coûts de déploiement de l’IA et sa diffusion à grande échelle dans le tissu économique. Ces périodes de consolidation des indices technologiques accompagnées de rotations sectorielles et d’arbitrages sont finalement plutôt saines. Elles démontrent que les marchés sont en réalité éloignés d’une prétendue exubérance irrationnelle généralisée, en dépit de quelques exagérations. La révolution de l’IA est toujours en marche.
Les marchés ont par ailleurs été soutenus par les perspectives de poursuite de détente monétaire de la part de la Réserve fédérale américaine (Fed), malgré le casse-tête de l’interruption des statistiques économiques officielles durant le « shutdown » (fermeture de nombreuses agences fédérales). Néanmoins, les maigres analyses disponibles pointent plutôt vers un affaiblissement du marché de l’emploi, ce que les investisseurs interprètent comme une « bonne nouvelle » s’agissant des prochaines décisions de politique monétaire de la Fed. En Europe, les espoirs de paix en Ukraine, en dépit de leur fragilité, ont soutenu les secteurs cycliques liés aux matériaux et à la construction.
Bien sûr, la COP (Conférence des Parties) de Belém est un échec. Dans un monde devenu conflictuel, il eût été naïf d’espérer un sursaut collectif. Aucune feuille de route n’a été adoptée pour sortir des énergies fossiles, et la Chine est parvenue à faire condamner en filigrane la politique de taxation du CO2 aux frontières de l’Union européenne (EU). L’ONU semble avoir définitivement perdu la main sur le sujet du réchauffement climatique. L’objectif de limitation de la hausse des températures moyennes à +2° par rapport à la période préindustrielle, alors qu’elles sont sur le point de franchir la barre symbolique de +1,5°, défendue vainement par la COP21 de Paris de 2015, est sans doute devenu hors de portée. Sur la base des engagements actuels, le réchauffement mondial moyen pourrait atteindre 2,5° à 2,8° d’ici la fin du siècle – un consensus peut-être trop optimiste –, la promesse d’un emballement des catastrophes naturelles pour la civilisation humaine. Les responsables politiques font-ils preuve de suffisamment de transparence et d’honnêteté sur ce sujet ? De fait, malgré les efforts consentis, la consommation mondiale d’énergies fossiles primaires a progressé de 50 % depuis le protocole de Kyoto de 1997. Elles représentaient encore 82 % du mix énergétique primaire mondial en 2022, une très modeste diminution de 5 points. Les efforts actuels de la transition énergétique représentent un peu plus de 2% du produit intérieur brut (PIB) mondial par an, alors qu’il faudrait investir au moins six fois plus chaque année d’ici 2050, et sans doute bien davantage en intégrant les inévitables dérapages budgétaires (« Halfway Between Kyoto and 2050 : Zero Carbon Is a Highly Unlikely Outcome », Vaclav Smil, Fraser Institute, 2024, éditions Arpa, 2025 pour la traduction française). Bref, malgré les progrès enregistrés par les COP, le compte n’y sera pas. Si les pays riches prenaient réellement en charge les efforts que le reste du monde n’a pas les moyens d’assumer, ils dépenseraient chaque année 15 à 20% de leur PIB, un scénario tout simplement absurde qui provoquerait un effondrement de nos sociétés démocratiques. Vaclav Smil, géographe spécialiste de ces questions, estime le besoin cumulé d’investissement entre 400 et 460 mille milliards de dollars d’ici 2050, soit environ 3,5 à 4 fois le PIB mondial actuel ! Aucun responsable politique n’a-t-il fait le calcul ? Les 300 milliards par an d’aides promises aux pays en voie de développement, moyens arrachés pourtant dans la douleur par la COP, sont bien évidemment dérisoires face aux enjeux.
En guise d’illustration, les productions électriques solaires et éoliennes, décentralisées et intermittentes, nécessitent de moderniser ou d’ajouter 80 millions de kilomètres de réseaux de transport d’ici 2040 – soit la taille du réseau mondial actuel ! –, ce qui implique une utilisation intensive de matériaux. Le coût du solaire et de l’éolien pris en compte dans les politiques publiques doit intégrer les investissements dans les réseaux, le stockage et les dispositifs de sauvegarde. Un MW produit par une centrale à gaz nécessite tout au plus 30 tonnes de matériaux lors de sa construction, contre 500 tonnes pour une éolienne (ciment, acier, cuivre, fibres de carbone…). Convertir les industries de l’acier, de l’ammoniac (nécessaire à la fabrication des engrais), de la verrerie…, ainsi que le transport et le chauffage à l’hydrogène vert signifierait consacrer 86% de la consommation électrique de 2022 à l’électrolyse (Vaclav Smil). Un dernier exemple particulièrement éloquent : pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la demande cumulée de cuivre porterait sur 600 millions de tonnes, ce qui nécessiterait de traiter 100 000 millions de tonnes de terres et de roches (à faible teneur en cuivre), soit le double du total annuel des matériaux extraits de la Terre, en intégrant la biomasse et les hydrocarbures ! Bonjour les impacts environnementaux et les coûts induits ! Un responsable politique s’est-il sérieusement penché sur ce léger problème ?
Les sujets soulevés par l’échec patent de la dernière COP sont nombreux. Il s’agit en premier lieu de la nécessité de déployer à grande échelle des politiques d’adaptation de notre civilisation à un réchauffement climatique devenu inéluctable en dépit des efforts consentis. Les bouleversements à attendre sur le plan économique sont évidemment gigantesques et encore fort mal appréhendés. Les moyens, très insuffisants, ont jusqu’à présent été presque exclusivement concentrés sur la seule transition énergétique. L’UE, qui cherche hypocritement à amender son Pacte vert et à détricoter ses réglementations kafkaïennes, n’a pas honte d’afficher sa satisfaction devant la baisse des émissions de CO2 en Europe, plus que compensée toutefois par le reste du monde, et qui trouve son origine principalement dans la fragilisation voire la destruction de pans entiers de son industrie – pour transférer sa production dans des pays très consommateurs d’énergies fossiles. En Europe, le droit minier et les réglementations environnementales rendent pratiquement impossible l’ouverture accélérée d’un site de production de minerais ou de terres rares essentiels aux technologies de la transition énergétique. Jusqu’à présent, le groupe chimique Solvay, qui dispose du seul site de raffinage de terres rares en Europe (France, La Rochelle), n’a signé de contrats qu’avec des clients américains, et aucun accord avec des industriels européens qui continuent de s’approvisionner en Chine, un comble ! C’est plus que symptomatique de la complexité ubuesque qui pèse sur la compétitivité de l’UE, et décrite dans le détail dans le rapport Draghi. La dernière COP pose la question du coût réel et exorbitant de la transition énergétique. Alors que nos démocraties souffrent d’un manque criant de moyens financiers, elles ont pourtant, contre toute logique, décidé de courir plusieurs lièvres à la fois : infrastructures souveraines (semiconducteurs, infrastructures IA…), réarmement, transition énergétique, politiques sociales (vieillissement de la population)… Synonyme de saupoudrage des budgets très limités, cette politique largement déployée en Europe est vouée à l’échec. Ce qui pose en fin de compte la question suivante, capitale pour les investisseurs : le niveau record des dettes publiques dans le monde, leur nécessaire soutenabilité et les besoins d’investissement colossaux exigent une baisse généralisée des taux d’intérêt réels (après inflation) ; qu’en pensent donc les banques centrales, et plus particulièrement la Banque centrale européenne attachée à la seule défense de la stabilité des prix, et néanmoins très en verve lorsqu’il s’agit de promouvoir le fléchage vers les investissements « verts » ?
Alors que les marchés financiers ne semblent porter leur attention que sur la Réserve fédérale, Donald Trump, l’Europe guerrière et l’éventualité d’une bulle IA, l’investisseur peut s’étonner à juste titre du manque d’intérêt manifesté à l’égard de la dernière COP et aux conséquences de cet échec collectif.
Les marchés financiers s’apprêtent à clôturer une année 2025 riche en rebondissements depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Ils devraient finalement s’en sortir bien mieux que ce que les investisseurs les plus pessimistes craignaient en début d’année. En dehors des journées qui ont immédiatement suivi l’extravagant « jour de libération » (annonce le 2 avril par Donald Trump des tarifs réciproques), leur comportement et en particulier leur faible volatilité ne reflètent pas l’impression générale de chaos qui a longtemps prévalu dans le monde, du moins jusqu’à l’apaisement des tensions commerciales entre les États-Unis et ses principaux partenaires.
Les investisseurs semblent reconnaître la formidable capacité d’adaptation du secteur privé et des entreprises, y compris européennes, qui ont intégré les risques géopolitiques dans la gestion de leurs affaires et leurs choix d’investissement. Depuis la crise des supbrimes de 2008, la sous-estimation de cette adaptabilité et de cette résilience face aux nombreux soubresauts politiques et aux multiples crises financières est l’erreur la plus manifeste des investisseurs « baissiers ». Alors que les enjeux climatiques sont toujours d’actualité, la révolution de l’IA contribuera à renforcer davantage cette résilience et cette flexibilité dans un environnement géopolitique beaucoup plus conflictuel que par le passé.