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Correction des excès et retour salutaire aux fondamentaux? Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2021-03-09

  • Ce que l’épisode récent révèle des marchés financiers
  • 1ère leçon : les banques centrales ne semblent pas craindre les risques de surchauffe
  • 2ème leçon : la rotation sectorielle en faveur de la « value » est loin d’être terminée
  • 3ème leçon : des facteurs difficiles à évaluer mais potentiellement dévastateurs et non reflétés dans les prix de marché
  • Conclusion

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Ce que l’épisode récent révèle des marchés financiers

Le sujet de l’inflation et des taux d’intérêt est revenu au premier plan des préoccupations des investisseurs. Les anticipations reflétées dans les contrats financiers de type swap et dans les titres du Trésor protégés contre l’inflation atteignent déjà leurs niveaux d’avant-crise de l’hiver 2020 (autour de 2,3% en dollar et de 1,40% en euro pour les contrats swap 5 ans dans 5 ans, contre respectivement 1,2% et 0,7% au plus fort de la correction boursière de mars 2020). Ces derniers mois, les taux d’intérêt à long terme ont logiquement accompagné la perspective d’une reprise économique permise par les succès rencontrés dans les campagnes de vaccination dans la lutte contre la Covid-19. C’est du côté américain que ces questions sont les plus prégnantes alors que la croissance économique pourrait atteindre 8 à 10% en 2021 selon de nombreux économistes. Le taux à 10 ans des obligations du Trésor flirte avec la zone des 1,50% à 1,60% ; il s’était effondré à 0,5% à l’été 2020. Les commentaires du président de la Réserve fédérale, Jérôme Powell, n’ont pas complétement rassuré les marchés, malgré l’engagement réitéré d’une longue période de politique ultra-accommodante (pas de hausse des taux directeurs avant la fin 2023 selon la Fed) et le scénario de hausse modérée des prix retenu pour les prochaines années. Cependant, nous verrons à ce propos que de multiples phénomènes de nature à alimenter le stress ne sont pas près de disparaître.

Si la plupart des économistes et des observateurs avisés sont d’accord pour interpréter les hausses de prix actuellement observées (notamment ceux de l’énergie et des matières premières) et le rebond des taux longs comme l’expression naturelle d’un rattrapage (effets de base) et d’une normalisation après la violente et courte récession de 2020, la volatilité observée récemment sur les bourses mondiales et la performance relative des zones géographiques et des secteurs, en particulier dans les segments technologiques plus chèrement valorisés, donnent de précieuses indications sur les dangers et l’ampleur des excès qui fragilisent les marchés. Quelles leçons pouvons-nous tirer des dernières semaines ?

1ère leçon : les banques centrales ne semblent pas craindre les risques de surchauffe

Les discours rassurants des banquiers centraux sur l’inflation sont surtout axés, d’une part, sur leur expérience des douze dernières années et plus précisément sur le lien devenu inexistant entre création monétaire et inflation (en dehors bien évidemment des prix des actifs financiers et immobiliers), et d’autre part, sur les excès de capacité qui resteraient considérables au sortir de la crise. Jusqu’à présent, l’explosion des bilans des banques centrales n’a pas donné lieu à un emballement inattendu et généralisé des prix, contrairement aux craintes de nombreux économistes exprimées après la crise des subprimes (2008-2009) et des dettes souveraines de la zone euro (2010-2012). Bien au contraire, les crises des dernières années ont toutes été associées à des risques accrus de déflation contre lesquels les principales banques centrales ont lutté avec toujours plus de vigueur (masse monétaire mondiale en progression de 75% sur la seule année 2020 contre une baisse de la production de 5%) et avec succès, faut-il le souligner, puisque à chaque fois les politiques d’assouplissement quantitatif ont permis d’éviter une spirale déflationniste. Du côté des indicateurs économiques, les surcapacités et les taux de chômage encore élevés (sans doute autour de 9 à 10% aux États-Unis selon la Réserve fédérale, contre une dernière statistique officielle de 6,2%, en prenant en compte le taux de participation plutôt faible de 61,4% compte tenu des millions d’américains qui ont momentanément quitté le marché du travail) semblent exclure toute menace inflationniste à court et moyen termes. Cependant, est-il aujourd’hui légitime de s’interroger sur la validité de cette analyse pour les dix prochaines années, c’est-à-dire lorsque l’on s’autorise à adopter une vue qui dépasse l’horizon des prochains mois ? Est-il seulement envisageable que nous nous approchions d’un changement fondamental de paradigme après quatre décennies de désinflation ? Plusieurs observateurs avisés tels que Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton et conseiller économique de Barack Obama, ou encore Paul Samuelson et Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie, exprimaient récemment leur inquiétude à l’égard des risques de surchauffe induits par la taille considérable du nouveau plan de relance proposé par l’Administration Biden (1 900 milliards de dollars qui s’ajouteront aux 900 milliards de dollars adoptés en décembre dernier, en attendant un plan de relance destiné aux infrastructures) qui fait la part belle au soutien de la demande. Nous répondons par l’affirmative, mais nous déclarons d’emblée que l’investisseur ne doit pas trop s’occuper de choisir son camp - pour ou contre le scénario du retour durable de l’inflation -, car la question de l’inflation est d’une complexité inouïe. L’investisseur doit plutôt s’interroger sur la façon dont son portefeuille se comportera selon les hypothèses envisagées et sur les mesures à prendre pour contrer une remontée inattendue des taux d’intérêt à long terme

2ème leçon : la rotation sectorielle en faveur de la « value » est loin d’être terminée

Le pari des marchés reste plutôt celui du maintien à long terme des conditions monétaires ultra-favorables permises par l’absence de pressions inflationnistes ; c’est le scénario consensuel qui prévaut depuis de nombreuses années et qui explique la surperformance des actifs à longue duration. Or, les performances relatives des actifs financiers confirment depuis plusieurs semaines notre préoccupation exprimée régulièrement dans nos lettres mensuelles des derniers mois : les portefeuilles des investisseurs internationaux sont exagérément surpondérés en actifs de croissance, plus particulièrement en actifs américains, chinois, technologiques et en rapport avec la transition énergétique (les thèmes de croissance structurelle à long terme). En effet, la crise de la Covid-19 a renforcé l’an dernier le biais des allocations en faveur de ces actifs sortis grands vainqueurs de la récession de 2020, au détriment des secteurs réputés « value » (faible taux de croissance à long terme des cash-flows reflété dans les valorisations) qui sous-performent de façon chronique depuis plus de dix ans. Ainsi, les marchés ont débuté l’année 2021 avec des valorisations élevées et beaucoup d’optimisme dans les segments de la cote les plus recherchés et qui attirent des flux de capitaux considérables dans des fonds indiciels et spécialisés. Les dernières séances semblent pourtant bien confirmer le mouvement de rotation initié dès le moment où les marchés furent rassurés par les nouvelles vaccinales en novembre dernier. En effet, la hausse des taux d’intérêt affecte négativement la valorisation théorique des actifs de croissance dès le moment où le taux de progression des cash-flows futurs n’est pas revu à la hausse dans les mêmes proportions (impact actuariel). Dans le cas des valeurs de croissance, les anticipations à long terme des marchés, déjà très élevées, ne sont pas revues à la hausse du fait de la reprise conjoncturelle de l’activité économique.

Au contraire, les sociétés cycliques réputées « value », en particulier les matières premières, l’énergie (pétrole et gaz), la chimie, les biens d’équipement, les valeurs automobiles, les leaders du secteur de la construction, etc., profitent pleinement d’une remontée des anticipations justifiée par la bonne qualité d’ensemble des publications des résultats des entreprises et de leurs premières prévisions pour l’année 2021. Ce dernier point à son importance : nombreuses sont les grandes valeurs industrielles à avoir convaincu les investisseurs sur la qualité de leurs cash-flows et la bonne orientation des carnets de commande (Saint-Gobain, Schneider Electric, AngloAmerican, Arkema, Solvay, Vinci, Eiffage, Stellantis…pour ne citer que quelques entreprises européennes). Les secteurs que nous venons de mentionner, auxquels nous ajoutons les valeurs bancaires, sont plus faiblement valorisés et surtout beaucoup moins détenus par les investisseurs (actifs à duration courte jugés souvent moins attrayants que les champions de la transition numérique et énergétique). Par conséquent, ils profitent aujourd’hui d’un relèvement des perspectives et d’une rotation sectorielle qui semble vouloir s’installer dans la durée, pas seulement au détriment des valeurs de croissance, mais aussi aux dépens des secteurs défensifs réputés « bond proxies » (sociétés à rendement des dividendes élevé), dont la valorisation est très dépendante du niveau des taux d’intérêt (services aux collectivités, télécoms, boissons et alimentation, immobilier). Nous rappelons une fois de plus que la zone géographique « value » par excellence est l’Europe, exagérément frappée d’une prime de risque politique qui trouve son origine dans la mémoire encore vive de la crise des dettes souveraines, dans la saga du Brexit, et dans les lenteurs dont souffre l’implémentation du plan de relance de 750 milliards d’euros. La politique vaccinale de l’Union européenne plus que contestable (sous-estimation inqualifiable des questions de production et de logistique alors que l’Administration Trump traitait ces sujets fondamentaux dès le printemps 2020) n’a bien évidemment pas aidé à restaurer la crédibilité des institutions de Bruxelles, même si les gouvernements nationaux ont une part de responsabilité écrasante dans ce qu’il faut bien appeler un fiasco.

Néanmoins, l’Europe a bien cessé de sous-performer face aux actifs américains, ce qui en dit long sur son potentiel si les campagnes de vaccination étaient aussi avancées qu’aux États-Unis. Elle profite d’un environnement taux plus favorable et de la contraction de la prime de risque politique (nouveau gouvernement en Italie sous la présidence de Mario Draghi, ancien président de la BCE). Les entreprises industrielles qui ont publié de bons résultats reprennent des couleurs en bourse. Les leaders technologiques américains ne parviennent pas à dépasser les records atteints durant l’été 2020 (Amazon, Facebook, Salesforce, Netflix…) ou en début d’année (Apple, Microsoft, PayPal…), tandis que les fonds indiciels spécialisés dans le cloud ou les semi-conducteurs subissent des prises de profits significatives, autant de signes d’une perte de vigueur boursière dans les segments ultra-consensuels de la cote depuis le printemps 2020. L’indice Nasdaq 100, en baisse de plus de 8% depuis la mi-février, a ainsi effacé ses gains de l’année (clôture du 5 mars). Peu d’investisseurs s’attendaient à des corrections d’une telle ampleur. Nous signalons pour terminer que les marchés émergents sont  actuellement pénalisés par le rebond du dollar alimenté par l’écartement des différentiels de taux d’intérêt.

3ème leçon : des facteurs difficiles à évaluer mais potentiellement dévastateurs et non reflétés dans les prix de marché

Les banquiers centraux ne disent rien des questions susceptibles d’alimenter les anticipations d’inflation à plus long terme, en particulier celles liées à la transition énergétique de nature fondamentalement inflationniste. Ils sont bien évidemment dans leur rôle lorsqu’ils tentent avant tout de calmer l’anxiété des agents économiques et d’éviter ainsi un emballement des anticipations. Par exemple, les objectifs ambitieux de lutte contre le réchauffement climatique et de neutralité carbone ne pourront être atteints qu’au prix d’un renchérissement des prix de l’énergie et de la tonne de carbone (cf. à ce sujet le projet de l’Union européenne de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières). Autre exemple : rien n’est dit, ou si peu, au sujet des goulets d’étranglement dont souffrent de nombreux secteurs qui ne reflètent pas uniquement les difficultés de relance de la machine industrielle après la récession (reprise de la production, restockage, pénurie de containers). Un manque évident d’investissements de capacités explique la pénurie de semi-conducteurs en pleine transition numérique et énergétique ; la Chine continue de dominer le marché des terres rares (70% des exportations mondiales) et de dicter ses conditions, alors que de nombreux pays, sous la pression d’une opinion publique acquise aux thèses écolos-progressistes, refusent toujours de relancer des sites de production et surtout de raffinage potentiellement polluants. Ces goulets d’étranglement peuvent freiner le rythme de la reprise (cf. par exemple la baisse de la production automobile au 1er trimestre), ils peuvent aussi alimenter une spirale inflationniste. Plus généralement, la hausse des prix des matières premières et les problèmes de rupture dans les chaines de production dispersées dans le monde peuvent devenir de réels sujets de préoccupation dans les prochains mois. Enfin, les banques centrales sont peu disertes sur les inégalités de patrimoine accentuées par la crise et bien plus par la hausse des marchés financiers et des actifs immobiliers favorisée par les politiques ultra-accommodantes, alors qu’elles deviennent socialement indéfendables et politiquement dangereuses pour l’avenir des démocraties. Ces inégalités renforcent inévitablement la pression pour un relèvement des bas salaires au détriment des actionnaires (vers un partage plus équitable de la valeur ajoutée), et pour un soutien toujours plus important de la demande au travers de politiques publiques redistributives ou de nouveaux plans de relance.

Ces sujets ne sont bien évidemment pas représentés dans les anticipations d’inflation reflétés dans les marchés financiers, qui restent proches des niveaux d’avant-crise.

Conclusion

Entre les tenants d’un scénario noir sur l’inflation, encore peu nombreux, et les optimistes largement majoritaires qui insistent sur la persistance de nombreux facteurs expliquant la faiblesse générale des prix depuis dix ans (mondialisation des échanges, dérégulation, e-commerce, désintermédiation, perte de pouvoir des syndicats…), l’investisseur est en droit de se sentir mal à l’aise. Nous lui réitérons nos conseils des derniers mois : éviter absolument une allocation d’actifs déséquilibrée en faveur des zones géographiques et des secteurs les plus chèrement valorisés et les plus consensuels dans les stratégies de gestion, et par conséquent les plus exposés à un changement de paradigme au sujet de l’inflation. Même dans une phase de relèvement progressif des prix (rattrapage naturel) et de repentification modérée des courbes de taux d’intérêt (normalisation), l’Europe, la « value », les sociétés jouissant d’un bon pricing power (en position de force à l’égard de leurs clients) continueront d’être soutenues par le rééquilibrage des portefeuilles. Nous restons convaincus que les marchés boursiers sont encore éloignés d’une situation de bulle (voir notre lettre mensuelle de février) ; les succès vaccinaux garantissent une reprise économique mondiale soutenue, alimentée par des politiques budgétaires et monétaires expansionnistes. Toutefois, les excès que nous pointons du doigt depuis plusieurs mois dans plusieurs segments de la cote sont devenus de plus en plus difficiles à défendre. C’est finalement d’un retour aux fondamentaux de la gestion d’actifs dont il s’agit ici : les investisseurs ne pourront plus faire longtemps l’économie des questions de valorisation.   




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