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Les contraintes d’offre exacerbées Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2021-10-05

  • Tapering et rotation en faveur de la value
  • L’immobilier chinois : un risque systémique ?
  • Faut-il s’inquiéter pour la croissance des bénéfices ?
  • Conclusion

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Tapering et rotation en faveur de la value

Les marchés ont accusé le coup ces dernières semaines, les principaux indices abandonnant 4 à 5 % depuis leurs plus hauts niveaux de l’année. L’accumulation de divers sujets de préoccupation, pas réellement neufs en réalité, a surtout été le prétexte à des prises de profits qui ne paraissent pas illogiques compte tenu des valorisations proches de nos cibles (cf. note mensuelle de juillet dernier). Le variant Delta a exacerbé les phénomènes de pénurie et accentué les contraintes d’offre durant l’été, surtout en Asie. La crise des promoteurs immobiliers privés chinois (cf. ci-dessous) ne semble pas de nature systémique pour le reste du monde. Elle pose néanmoins la question de la trajectoire de croissance de l’économie de l’empire du Milieu pour les prochaines années. La Réserve fédérale a quelque peu musclé son discours en reconnaissant que l’inflation transitoire est tout de même plus brutale que prévu initialement (relèvement de ses prévisions), ce qui ouvre la voie à un début de normalisation de sa politique monétaire (tapering ou réduction progressive des achats de titres, sans doute dès novembre prochain). Toutefois, on est encore loin d’une hausse des taux directeurs et d’une baisse de la taille du bilan de la Fed qui seraient de nature à impacter plus significativement les marchés, comme en 2018. La hausse des taux d’intérêt récemment observée (taux souverain en dollar à 10 ans à 1,5% contre 1,3% il y a un mois) reste modérée, de même s’agissant des anticipations d’inflation, et ce malgré les tensions sur les prix de l’énergie. Plus important, les taux réels (après inflation) restent en territoire négatif. Même si les pressions inflationnistes sont significatives, on observe un début de plafonnement du rythme d’inflation en glissement annuel, signe que les tensions ne se généralisent pas à l’ensemble de l’économie. Aux États-Unis, en dehors des secteurs très impactés par la crise de la Covid-19 (hôtellerie, transport, loisirs…), l’inflation reste sur une trajectoire proche de celle d’avant mars 2020. Les salaires ne progressent pas plus vite que les gains de productivité qui sont élevés dans cette phase de reprise, ce qui soutient les marges des entreprises (coûts unitaires du travail contenus). Soulignons, pour terminer ce bref tour d’horizon, que la situation économique de l’Union européenne est solide au 3ème trimestre, plus dynamique que celle du reste du monde.

Les tensions, certes encore timides, sur les taux d’intérêt à long terme ont déclenché un mouvement de rotation sectorielle des portefeuilles internationaux en faveur de la thématique value (financières, énergie, chimie, automobile…) qui avait cessé de surperformer depuis le printemps dernier (point de départ d’une contraction des taux d’intérêt à long terme). Les actifs de croissance, en particulier les valeurs technologiques, ont logiquement subi les prises de profits les plus sévères. Une éventuelle poursuite de la hausse des taux longs, surtout en dollar, devrait continuer de pénaliser les segments de la cote les plus chèrement valorisés. Elle pourrait néanmoins être tempérée par les inquiétudes grandissantes sur la croissance économique. 

L’immobilier chinois : un risque systémique ?

Le probable défaut du géant chinois de la promotion  immobilière Evergrande n’est pas de nature à rassurer les investisseurs quant aux perspectives de l’économie de l’empire du Milieu.  Ce n’est pas tant le poids des dettes et des engagements hors bilan du promoteur (0,5% du PIB mondial, 3% du PIB de la Chine) que l’importance du secteur immobilier dans les performances économiques chinoises qui inquiète les marchés. La chute d’Evergrande, qui en annonce d’autres dans le secteur des promoteurs privés,  est surtout la conséquence de la volonté politique de Pékin de réduire les risques systémiques liés à l’endettement excessif (objectif de stabilité financière), de rendre le logement plus accessible pour les ménages dans le cadre du programme de « prospérité commune », et d’améliorer grandement l’allocation des ressources en faveur des secteurs innovants (objectif fort louable d’efficacité économique après des années de gaspillage). Le projet de Xi Jinping n’est pas synonyme de retour à une économie socialiste de la plus stricte obédience ; il s’inscrit dans la lutte contre les excès du capitalisme qui menacent l’harmonie sociale à laquelle les Chinois sont très attachés. Le secteur immobilier est ainsi touché de plein fouet par des règles contraignantes au sujet de l’endettement adoptées en 2020, les désormais fameuses « trois lignes rouges » qui ont contribué à la contraction brutale des mises en chantier, en baisse le mois dernier de 17% en glissement annuel. La Chine confirme ainsi sa politique d’un rééquilibrage de sa croissance en faveur de la consommation des ménages (à peine 40% du PIB contre près de 70% aux États-Unis) et de la montée en gamme de sa production. Si cette transition, qui n’est en rien une nouveauté, n’est pas totalement indolore pour les secteurs les plus endettés, le reste du monde est plutôt immunisé face à un problème essentiellement chinois. L’équivalent de 20 milliards de dollars de dettes d’Evergrande est détenu par les non-résidents, sur un total de 300 milliards de dollars.  Il ne s’agit donc nullement  d’une crise comparable à celle provoquée par la faillite de Lehman Brothers au paroxysme de la crise des subprimes en 2008. A noter que l’on n’observe aucune contagion au secteur bancaire domestique (cf. les contrats CDS). La taille du secteur de la promotion immobilière privée – celui qui est fragilisé par la nouvelle régulation avec des sources de financement qui dépendent exagérément des préventes et des papiers commerciaux -  reste raisonnable à l’échelle du pays. La dette totale des promoteurs privés et publics représente 6% du PIB chinois. Cependant, la proximité du prochain Congrès du PCC de 2022 interdit aux autorités de Pékin de traiter la question à la légère : outre 200 000 salariés, il y aurait 3 à 4 millions d’emplois indirects concernés, 1 million de ménages en attente de la livraison d’un logement déjà payé, et quelques dizaines de milliers d’investisseurs privés qui ont acheté des produits de gestion liés au promoteur.

En conclusion, Evergrande ne semble pas être un risque systémique pour les marchés mondiaux. Néanmoins, avec l’accumulation de régulations qui touchent de nombreux secteurs d’activité depuis douze mois (e-commerce, jeux vidéo, enseignement privé, consommation d’alcool, production d’acier, promotion immobilière…) et qui posent la question des perspectives bénéficiaires des sociétés privées, les investisseurs  sont en droit de s’interroger sur la dynamique de croissance de la Chine dans les prochains mois. Leurs doutes se matérialisent dans une diminution de l’exposition de leurs portefeuilles aux actions chinoises dont le poids dans l’indice mondial MSCI est repassé sous la barre des 5%, après avoir essuyé une correction de 30% depuis le sommet de février. Le poids de l’immobilier dans le PIB de l’empire du Milieu (environ 30%) et sa contribution à la croissance des vingt dernières années sont excessifs dans le cadre d’un vieillissement démographique et d’une natalité qui reste en berne malgré une politique publique plus volontariste (le poids de ce secteur dans les principaux pays de l’OCDE est compris entre 15 et 20%). L’immobilier représente également un poids significatif dans le patrimoine des ménages et assure une part non négligeable des ressources budgétaires des collectivités locales. Les économistes des Cahiers Verts de l’Economie ont ainsi estimé que la croissance économique pourrait être réduite de 1,5 à 2% dans le scénario réaliste d’une contraction des mises en chantier et des transactions de l’ordre de 10 à 15% et d’une baisse des prix de l’immobilier résidentiel de 5 à 10% - ils sont pour le moment proches de zéro en glissement annuel. Or, le consensus parie toujours sur une croissance réelle de 5,5% en 2022 (après +8,3% en 2021), ce qui peut sembler fort optimiste dans le contexte actuel. Une progression du PIB plus proche de 4% en volume serait plutôt mal perçue par les investisseurs.

Le ralentissement de la croissance chinoise n’est évidemment pas neutre pour le reste du monde, compte tenu de son poids dans la croissance mondiale (environ 30 à 40%), et de sa consommation élevée de matières premières. Il fragilise également la dynamique des pays d’Asie du Sud-Est intégrés dans les chaines de production. A la crise des promoteurs immobiliers est venue s’ajouter une crise énergétique (nombreuses pénuries de courant liées à des rationnements de distribution d’électricité par les collectivités locales) qui a conduit à des arrêts temporaires de production (Morgan Stanley parie sur un impact négatif d’un point de croissance pour le seul 4ème trimestre). Cela nous amène à adopter une vision prudente à court terme, du moins tant que Pékin n’a pas décidé de soutenir plus vigoureusement son économie et que la phase de régulation renforcée n’est pas terminée. Nous reconnaissons toutefois que la valorisation des actions chinoises est revenue à un niveau attractif pour le long terme (rapport cours sur bénéfices attendus en 2021 de l’indice MSCI China inférieur à 15).

Faut-il s’inquiéter pour la croissance des bénéfices ?

L’inflation un peu plus haute que prévu, la croissance fragilisée par les contraintes d’offre, la Chine, et pour finir les questions budgétaires américaines (cf. ci-dessous) ne composent pas un cocktail particulièrement favorable aux marchés boursiers. Si nous continuons d’adhérer au scénario d’une inflation transitoire qui devrait se normaliser dans les prochains trimestres au fur et à mesure des investissements de capacité de nature à résorber les goulets d’étranglement (énergie, semi-conducteurs, fret maritime…), la question sans doute plus fondamentale à ce stade nous semble être celle de la croissance économique en 2022, car elle déterminera la trajectoire des profits des entreprises. La bonne nouvelle est sans conteste le recul de la pandémie qui se confirme y compris en Asie du Sud-Est, région essentielle au bon fonctionnement des chaînes de valeur. Le taux d’épargne dans l’OCDE est encore deux fois supérieur à son niveau d’avant la pandémie ; la mobilité des économies n’est pas encore totalement revenue aux niveaux pré-crise ; la situation financière des entreprises reste favorable (cf. spreads des marchés obligataires) ; se dessine enfin un nouveau cycle d’investissement de capacités et de modernisation dans de nombreuses industries, un réel facteur de soutien pour les gains de productivité et la croissance future.  A ce stade, nous nous refusons donc d’adopter une vue pessimiste (scénario de stagflation). Le consensus à l’égard des profits des entreprises en 2022 (autour de 10% de hausse tant en Europe qu’aux États-Unis, après des progressions de respectivement 55% et 45% en 2021) nous semble parfaitement crédible.

Toutefois, deux questions importantes doivent être suivies de près. Nous avons déjà abordé les défis chinois. La seconde question concerne les programmes de relance aux États-Unis. La victoire en trompe l’œil de Joe Biden en novembre 2020 ne peut plus masquer les tensions politiques au Congrès entre les ailes progressiste et centriste du Parti démocrate. Entre mars 2020 et mars 2021, trois programmes ambitieux de relance ont été adoptés (les deux premiers sous la présidence de Donald Trump) pour un montant total de 4 800 milliards de dollars. Ces plans ont joué un rôle décisif dans le redressement de l’économie américaine étranglée par la pandémie et les restrictions de mobilité. Ils ont conduit à une hausse sans précédent de l’endettement fédéral qui nécessite un relèvement du plafond de la dette auquel s’opposent pour le moment les républicains inquiets du coût des politiques sociales de la Maison-Blanche. A ce blocage, qui doit impérativement être levé d’ici au 18 octobre pour permettre au Trésor de rembourser ses dettes arrivées à échéance (le financement du budget fédéral est quant à lui assuré jusqu’au 3 décembre), s’ajoutent surtout les atermoiements autour des deux nouveaux programmes de relance. Le premier qui concerne les infrastructures a fait l’objet d’un accord bipartisan de 550 milliards de dollars tandis que le second qui regroupe les promesses électorales à vocation sociale de Joe Biden pèse 3 500 milliards de dollars. Alors que la Maison-Blanche désire l’adoption simultanée de ces deux plans, deux sénateurs démocrates centristes refusent de voter le second volet social alors que l’aile progressiste refuse d’apporter son soutien au programme d’infrastructures sans garantie sur ce second plan.  Cet imbroglio politique, qui au passage démontre la fragilité du camp démocrate à l’approche des élections de mi-mandat de 2022, alimente les inquiétudes des investisseurs sur la trajectoire de croissance pour les prochains trimestres (impulsion budgétaire nette négative en 2022 d’environ 5% du PIB sans les deux plans. Source : Les Cahiers Verts de l’Economie, Catallaxis septembre 2021). Ces plans de relance qui s’étaleront sur plusieurs années pèsent tout de même environ 20% du PIB américain.

 Ces questions sur la trajectoire de la croissance économique en 2022 ne peuvent évidemment pas être dissociées de celles concernant la normalisation des politiques des banques centrales. Il nous semble évident que les autorités monétaires agiront avec la plus grande prudence si la dynamique économique et l’emploi ne sont pas au rendez-vous.

CONCLUSION

A ce stade, la valorisation des principaux marchés sur la base des estimations du consensus pour 2022 nous permet de garder une vue favorable à l’égard des actions (rendement des free-cash-flows attendus en 2022 autour de 5%, proche de la moyenne historique), même si la volatilité devrait être un peu plus soutenue compte tenu de la multiplication des sujets d’inquiétude. Nous envisageons deux scénarios pour l’an prochain. Le premier scénario est celui d’une bonne dynamique économique (consensus PIB mondial en volume en hausse de 5,9 % en 2021 et de 4,5% en 2022) combinée à des pressions inflationnistes un peu plus fortes qu’escompté mais sans dérapage incontrôlé (plafonnement puis ralentissement des prix à la consommation que permet un meilleur équilibre offre/demande sur les marchés de l’énergie, progression des salaires inférieure aux gains de productivité). Dans ce scénario idéal pour la trajectoire des profits des entreprises (chiffres d’affaires en hausse et marges soutenues), les banques centrales normalisent très progressivement leur politique monétaire, la Réserve fédérale initiant son tapering avant la fin de l’année, mais sans contraction de leurs bilans, ni pressions fortes sur les taux longs. Ce scénario est évidemment favorable aux actions en général et plus particulièrement aux secteurs réputés value (financières, énergie, cycliques industrielles, matières premières…) moins pénalisés par la hausse des taux d’intérêt à long terme. Le second scénario est moins exaltant pour la croissance économique : le consensus continue de s’ajuster à la baisse car Pékin soutient trop mollement son économie, l’impulsion budgétaire américaine est insuffisante, l’impact des prix de l’énergie sur la demande est plus élevé que prévu, et pour finir les contraintes de production persistent dans les chaînes de valeur. Ce scénario n’est a priori pas favorable aux actifs risqués, surtout américains. Toutefois, nous pensons que les autorités monétaires seraient alors amenées à freiner le rythme de normalisation de leur politique monétaire, ce qui garantirait des taux d’intérêt réels négatifs, ou du moins très inférieurs à la croissance, pour une plus longue période. Les investisseurs se trouveraient une fois encore face à l’absence d’alternative sérieuse et se verraient contraints d’accorder une place importante aux actions, avec un biais sans doute plus favorable à la thématique croissance et aux valeurs défensives (valeurs technologiques, sociétés pharmaceutiques, services aux collectivités…). Il est un peu tôt pour privilégier un scénario au détriment d’un autre ; beaucoup dépendra des décisions politiques prises à Pékin et à Washington dans les prochaines semaines. L’investisseur veillera ainsi à maintenir une bonne diversification géographique et sectorielle dans son portefeuille en évitant les paris trop appuyés. Les positions longues en volatilité (couvertures via des options de vente sur indices) seront maintenues.  


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