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Naviguer sur un océan de bulles Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2020-07-06

  • Quelques incertitudes sur le Covid-19 qui ne refroidissent pas les marchés
  • La fin du métier de stratégiste ?
  • Trois questions politiques pour la rentrée
  • Conclusion

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QUELQUES INCERTITUDES SUR LE COVID-19 QUI NE REFROIDISSENT PAS LES MARCHÉS

Alors que plusieurs foyers d’infection semblent maîtrisés en Asie et en Europe grâce à un meilleur usage des tests et du traçage des individus contaminés par le Covid-19, les statistiques des nouveaux cas et des hospitalisations demeurent favorables et ne pointent pas dans la direction d’une seconde vague dans ces deux régions du monde. Il n’en va pas de même dans quelques États fédérés américains (Floride, Californie, Texas…), dans de nombreux pays d’Amérique latine, en particulier au Brésil, dans plusieurs pays du continent africain et en Inde. Selon le directeur de l’OMS, inquiet des levées de restriction jugées trop rapides, la pandémie analysée au niveau mondial serait même en phase d’accélération. Il y a quelques semaines à peine, une telle déclaration aurait eu des répercussions sévères sur les marchés financiers. Mais les investisseurs ont appris à ne plus agir sous le coup de l’émotion. Surtout,  leur confiance dans l’assurance offerte par les banques centrales est absolue. Leur conviction que le confinement plus ou moins strict du printemps - confinement qui a manqué de plonger l’économie mondiale dans une dépression au moins aussi cataclysmique que celle des années trente -  ne soit plus une option politique en cas de seconde vague tient d’un acte de foi : aucune réalité ne semble en mesure de remettre en question cette opinion largement partagée dans les milieux financiers, alors qu’aucun vaccin ne sera disponible à grande échelle avant l’été 2021, dans le meilleur des cas. Mais l’économie mondiale est bien en phase de rebond ; les marchés d’actions accompagnent tranquillement les paliers successifs de déconfinement. 

Les principaux indices ont ainsi préservé sans grandes difficultés leurs gains accumulés depuis le point bas du 23 mars (rebond moyen de l’ordre de 30 à 40%) ; les prises de profit ont été plutôt légères. Le fonds indiciel MXWO (Invesco) qui réplique la performance de l’indice MSCI World exprimée en USD progresse encore de 3% sur le mois écoulé ; sa performance depuis le début de l’année atteint -6% après une rebond de 30% depuis la fin mars. L’indice Nasdaq 100 des leaders technologiques américains a battu de nouveaux records historiques et progresse de 6% le mois dernier ; son gain cumulé depuis le 1er janvier est de 16% ! On peut légitimement s’offusquer de ce décalage entre les marchés financiers et l’économie qualifiée de « réelle ». Mais ce serait sous-estimer grandement l’importance du rôle des marchés dans le financement de l’économie et ne pas comprendre les effets délétères des krachs financiers sur la consommation des ménages et l’investissement des entreprises. Les banques centrales ne s’y sont pas trompées, elles qui ont décidé d’intervenir rapidement et massivement pour empêcher que la crise économique ne se transforme en crise financière. Pour rappel, les injections de liquidités portent sur 8% du PIB mondial contre 4% lors de la crise des subprimes de 2007-2008.

Trois facteurs expliquent la bonne tenue des marchés boursiers, en dehors du rebond technique de l’activité directement lié au déconfinement. En premier lieu, nous venons de l’évoquer, les politiques des banques centrales qui n’hésitent pas à laisser entendre que l’amplitude et la durée de leurs interventions ne sont bornées par aucune limite (en dehors évidemment de la taille des dettes publiques et privées rachetées). Les taux d’intérêt nuls, voire négatifs, poussent les investisseurs à augmenter la part investie en actions dans leurs portefeuilles. Ensuite, une stabilisation du consensus des analystes (attentes bénéficiaires pour les année 2020 et 2021 à respectivement -35% et +44% pour les actions européennes), et ce malgré un ajustement à la baisse des prévisions des agences supranationales qui diffusent des messages de grande prudence sur la vitesse de la reprise économique. Selon le FMI, qui se rapproche ainsi d’autres grandes institutions, le PIB mondial devrait se contracter de 4,9% en 2020 (en volume) puis rebondir de 5,4% l’an prochain. En avril dernier, l’institution prévoyait respectivement -3% et + 5,8%.  Pour terminer, la composition sectorielle des grands indices boursiers explique pour une bonne part le décalage entre les marchés et l’économie. En effet, si l’on s’en tient à la structure de l’indice S&P 500, le poids du secteur des technologies de l’information et de la communication additionné à celui des valeurs pharmaceutiques, activités plutôt résistantes dans la crise ou du moins supposées l’être, dépasse 40% de l’indice, alors que les secteurs les plus touchés par le confinement et qui resteront longtemps fragilisés (hôtellerie, restauration, transport aérien…) pèsent moins de 5% du marché boursier. Avant la crise du Covid-19, le seul secteur des technologies de l’information et de la communication contribuait directement pour 5% du PIB américain (source : ONU, rapport sur l’économie numérique 2019, données de l’année 2017), alors que son poids dans l’indice S&P 500 atteint 25%. C’est bien évidemment la prime de valorisation considérable du secteur technologique qui explique son rôle déterminant dans la performance des indices dont la construction repose sur la capitalisation boursière de leurs constituants.

Ces trois facteurs expliquent la hausse des indices ; cependant, ils ne peuvent masquer le fait que les valorisations sont tendues, même en considérant le rebond des bénéfices attendu en 2021.

LA FIN DU MÉTIER DE STRATÉGISTE ?

Ne nous voilons pas la face ! Nous naviguons bien sur un océan de bulles financières (cf. note mensuelle de juin). Aucune tendance de fond des économies, telle que la digitalisation ou la transition écologique, ne permet de justifier les niveaux de valorisation atteints aujourd’hui. Seuls les facteurs techniques liés aux flux de liquidités – notamment les montants considérables investis dans les fonds thématiques tels que les véhicules labellisés ESG (Environmental, Social and Governance) et la transformation insidieuse des leaders technologiques américains (Amazon, Microsoft, Apple…) en actifs « sans risque » - expliquent les valorisations très supérieures aux moyennes historiques, même lorsqu’elles reposent sur les prévisions de résultats de 2021 (année de retour à la normale pour des pans entiers de l’économie). Ainsi, le rapport cours sur bénéfices estimés en 2021 des indices STOXX Europe 600 et S&P 500 atteint respectivement 16,2 et 19,3, soit des multiples de valorisation environ 15% au-dessus des moyennes historiques malgré des incertitudes sanitaires, économiques et géopolitiques impossibles à écarter d’un revers de la main.

Les crises de 2008-2009 (éclatement de la bulle immobilière américaine) et de 2010-2012 (dettes souveraines de la zone euro) ont amené les banques centrales à manipuler les prix de marché des actifs obligataires (contrôle de la courbe des taux d’intérêt). Afin d’assurer la solvabilité des agents économiques (États, entreprises, ménages), les taux d’intérêt nominaux (avant prise en compte de l’inflation) sont maintenus à des niveaux très inférieurs au taux de croissance de l’activité économique. C’est ce que l’on appelle communément « l’euthanasie des rentiers » qui reprend une expression de l’économiste John Maynard Keynes : les taux réels (après inflation) sont négatifs en dehors des émissions d’entreprises à haut risque (segment des obligations dites à haut rendement ou high yield). Cette nouvelle crise conduit les grands argentiers à franchir une nouvelle étape en achetant des fonds indiciels investis dans des obligations d’entreprises notées investment grade et même high yield (Réserve fédérale américaine, mais la Banque centrale européenne ne serait pas opposée à cette idée). Ainsi, les prix de marché et les écarts de taux ne donnent plus d’informations pertinentes sur les risques anticipés par les investisseurs ; les marchés financiers perdent leur rôle essentiel d’informateur sur la situation financière des emprunteurs publics et privés. Cette manipulation jamais vue dans l’histoire économique se répercute évidemment sur les marchés d’actions. Le prochain krach amènera-t-il les banques centrales à soutenir directement les bourses en achetant des fonds indiciels en actions, comme au Japon et en Suisse ?

On peut se demander si le métier de stratégiste n’est pas enterré pour longtemps puisque seuls les paramètres techniques (marchés pilotés par les liquidités) et le contrôle de fait des marchés par les banques centrales influencent aujourd’hui le comportement des investisseurs. L’étude du bon vieux couple (risque, rendement attendu) à partir des fondamentaux économiques et financiers afin de définir une allocation d’actifs efficiente, concept toujours enseigné dans les écoles de commerces, semble inopportune dans le cas présent. La crise des subprimes a sonné le glas des théories économiques enseignées dans les universités ; la crise du Covid-19 semble vouloir inhumer pour de bon les modèles de fonctionnement des marchés et de gestion de portefeuille.

TROIS QUESTIONS POLITIQUES POUR LA RENTRÉE

Les thèmes ne manquent pas pour alimenter les débats dans les comités d’investissement. Si nous nous en tenons aux questions politiques, nous soulignons ici trois sujets que nous jugeons importants. Le premier est la validation ou non du plan de relance proposé par le couple franco-allemand qui vise à pérenniser l’Union européenne et la monnaie unique par la même occasion. Ce n’est pas tant la taille du plan de relance (500 milliards d’euros de dépenses directes envisagées sur la période 2021-2027, soit environ 3,5% du PIB de l’UE, en plus de 250 milliards de prêts) que la création d’une véritable dette européenne qui importe ici, puisque c’est la Commission qui sera chargée de se financer afin de soutenir les pays les plus touchés par la crise, en priorité ceux du sud de l’Europe. Une mutualisation d’une partie des dettes de l’Union serait une étape majeure vers un fédéralisme budgétaire européen. Un blocage de la part des petits pays réticents serait évidemment mal vécu par les investisseurs ; un accord serait sans doute salué par les marchés boursiers du Vieux Continent et par l’euro. 

Second sujet européen : le Brexit qui ne trouve toujours pas de solution, mais qui ne semble plus intéresser beaucoup les investisseurs, à tort nous semble-t-il. Les discussions entre la Commission et le Royaume-Uni semblent vouloir s’enliser et annoncer une absence d’accord commercial en dehors de l’application des règles générales de l’OMC au terme de la période de transition (31 décembre 2020), un mauvais scénario pour les deux parties. 

Troisième sujet : les prochaines élections américaines présidentielle et législatives de novembre. Les démocrates et leur candidat Joe Biden sont portés par les sondages. Les marchés américains considèrent que leur éventuelle victoire ne remettra pas en cause, en pleine crise économique, la politique fiscale de Donald Trump en faveur des entreprises qui a clairement soutenu les rachats d’actions et les cours de bourse. Pourtant, le programme de Joe Biden (hausse du taux d’imposition des entreprises de 21 à 28%, augmentation du salaire minimum, renforcement de la régulation fédérale, hausse de la fiscalité sur les hauts revenus et les plus-values de cession, régulation hostile au secteur pétrolier…), influencé par l’aile radicale du parti démocrate qui devrait faire une percée au Congrès (cf. les récentes victoires aux primaires de candidats progressistes contre des démocrates réputés plus proches du centre), est loin d’être favorable à Wall Street. D’aucuns n’hésitent plus à qualifier Joe Biden de véritable candidat de rupture, une première dans l’histoire politique des États-Unis qui n’est que la conséquence logique des idées progressistes diffusées dans les universités américaines depuis cinquante ans, avec une très nette accélération depuis la crise de 2008. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur les choix de société - un partage plus équitable des gains de productivité entre les salariés et les actionnaires n’est pas une demande illégitime -, mais d’adopter la vue froide de l’investisseur. La composition du cabinet de Joe Biden et le choix du vice-président seront bien entendu cruciaux pour juger de leur caractère radical ou centriste (combien de ministres proches des idées de Bernie Sanders, d’Elisabeth Warren et d’Alexandria Ocasio-Cortez ?). La perspective d’une profonde remise en cause du modèle néolibéral associé à quarante années de marchés financiers performants pourrait finir par alerter sérieusement les investisseurs américains.

CONCLUSION

Les banques centrales ont pris le contrôle de la situation et modifié en profondeur le fonctionnement des marchés financiers. Il est devenu quasi impossible pour un investisseur de « lutter » contre cette situation surréaliste, c’est-à-dire de parier contre les bulles financières qui se multiplient. Il ne lui reste plus qu’à investir aux côtés des banquiers centraux dont les politiques revêtent un caractère assurément irréversible en l’absence d’inflation. Beaucoup s’en réjouissent, les États impécunieux en premier. Mais la raison nous commande de rester vigilants et de ne pas jeter aux oubliettes les principes de gestion de portefeuille qui nous permettront de dormir sur nos deux oreilles.

 


 

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