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Vers des prises de profits bienvenues Dominique Marchese, Head of Equities & Fund Manager, 2021-05-06

  • Les marchés sont-ils devenus complaisants ?
  • Virage à gauche aux États-Unis : vers une remise en cause de l’héritage néolibéral des années Reagan ?
  • Conclusion

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LES MARCHÉS SONT-ILS DEVENUS COMPLAISANTS ?


Pendant de nombreuses années, les gestionnaires de fortune américains ont considéré qu’une allocation d’actifs financiers équilibrée et performante sur le long terme devait reposer sur une pondération de 60% en actions et 40% en obligations. Depuis l’écrasement des courbes de taux d’intérêt et des primes de risque provoqué par les politiques de rachat d’actifs menées par la Réserve fédérale, les investisseurs ont progressivement revu à la hausse l’exposition de leurs portefeuilles aux actifs risqués en général et aux actions en particulier. Nombreux sont les stratégistes américains à considérer qu’une allocation optimale à long terme devrait contenir plutôt 70% d’actions. Cette vue, qui reflète l’optimisme des gérants quant à la croissance potentielle américaine et à la puissance de Wall Street, et qui repose avant tout sur l’époustouflante performance des bourses américaines ces dernières années, est loin d’être partagée par les investisseurs européens qui ont dû faire face à de nombreuses crises depuis celle des supbrimes de 2008-2009 (dettes souveraines en 2010-2012, Brexit, plus forte sensibilité des actifs européens au cycle mondial en 2016…). Sur les dix dernières années, la performance totale de l’indice Euro Stoxx 50 atteint environ 85% (dividendes nets réinvestis) alors que les indices S&P 500 et Nasdaq 100 enregistrent des gains respectifs de 350% et 600% (exprimés en euro) ! De tels écarts de performances justifient bien les comportements divergents entre les investisseurs des deux côtés de l’Atlantique.

Toutefois, un phénomène remarquable fut observé au printemps de l’an dernier en pleine crise de la Covid-19 (première vague) : les investisseurs particuliers et les gérants de fortune européens, qui avaient plutôt l’habitude compréhensible mais finalement désastreuse de systématiquement diminuer le risque de leurs portefeuilles dans les périodes de crise en cédant à prix cassés de nombreux actifs, ont saisi l’occasion du krach de février-mars 2020 pour acheter à bon compte les actions des sociétés les plus en phase avec les tendances de fond de l’économie (digitalisation, transition énergétique, ESG…). Pour résumer à grands traits la situation de mars 2020 : alors que les investisseurs institutionnels – assureurs, fonds de pension, salles de marché des banques - pénalisés par des réglementations draconiennes étaient forcés de vendre, ou que des hedge funds pariaient sur une crise longue et profonde, les investisseurs privés tiraient profit de la correction pour ramasser des titres de qualité tels que LVMH, Microsoft, ASML, ou encore Apple. Ils avaient tiré la leçon des corrections boursières des années précédentes qui, à chaque fois, avaient offert de belles occasions d’achat et démontré dans la foulée la très grande difficulté d’anticiper efficacement les points de retournement des marchés - ce que l’on nomme habituellement le market timing.

On ne peut que se réjouir de la maturité acquise par les investisseurs européens et par les banques privées qui ont compris la valeur offerte par une classe d’actifs qui a longtemps souffert d’une prime de risque excessive, du moins en Europe. Alors que les marchés obligataires offrent des taux d’intérêt dérisoires, un objectif de 5% de performance annuelle moyenne à long terme, qui semble à première vue raisonnable, ne peut être atteint que par une allocation qui fait la part belle aux actifs risqués, surtout aux actions (minimum 60% de l’allocation). Néanmoins, après les forts rebonds boursiers des derniers mois (dont 10 à 12% de gains depuis le début de l’année pour les principaux indices), il devient légitime de se poser la question de l’éventuelle complaisance des marchés à l’égard des nombreux risques qui ne semblent pas intégrés dans les scénarios des investisseurs. On peut s’étonner que de nombreux sujets d’actualité n’aient pratiquement aucune prise sur l’évolution des indices. Nous citons dans le désordre les tensions géopolitiques (Chine/Taiwan, Russie/Ukraine, Turquie), le sujet de l’inflation et des risques de surchauffe de l’économie, les projets de hausse des impôts aux États-Unis (cf. ci-dessous), l’actualité antitrust toujours chargée contre les grandes plateformes technologiques, et pour finir la circulation toujours vive d’un virus qui en profite pour muter et éventuellement déjouer les campagnes de vaccination en retard de plusieurs mois en dehors des États-Unis, de la Grande Bretagne et d’Israël. S’agissant de ce dernier sujet, la situation sanitaire indienne n’est pas rassurante.

Certes, la saison des publications des résultats du 1er trimestre est de très bonne qualité, ce que d’ailleurs nous attendions. Les entreprises ont une fois encore démontré leur capacité d’adaptation en temps de crise. Nous sommes particulièrement impressionnés par les résultats publiés dans les segments industriels (par exemple Schneider Electric, Michelin, Airbus, Stellantis, Solvay ou encore Saint-Gobain pour ne citer que quelques leaders européens). Mais il est également exact que les publications de bonne facture ont été largement anticipées par les investisseurs. Les annonces de bons résultats sont fréquemment accompagnées de prises de profits lorsqu’elles ne sont pas assorties d’une hausse significative des objectifs des entreprises pour l’exercice comptable en cours (phénomène particulièrement frappant dans le secteur technologique avec Apple, Microsoft, Amazon et Infineon par exemple). Or, nombreux sont les comités de direction à vouloir attendre la fin du semestre pour décider d’un éventuel relèvement de leurs prévisions pour l’ensemble de l’année. Cette prudence est parfaitement compréhensible à ce stade du rebond de l’activité économique, et compte tenu des nombreuses tensions dans les chaînes de valeur (transport, logistique, pénuries de composants électroniques et de matériaux…). Cependant, les marchés ont besoin de carburant pour poursuivre leur chemin. Du point de vue des valorisations, nos objectifs théoriques basés sur les rendements des free-cash-flows attendus en 2022 sont d’ailleurs près d’être atteints en Europe et sont légèrement dépassés aux États-Unis. Les marchés offrent encore de la valeur dans une optique de long terme - le rendement des free-cash-flows attendus l’an prochain est supérieur à 5% en Europe -, mais il n’est pas déraisonnable de réduire modérément et temporairement l’exposition aux actions dans une optique plus tactique. L’achat de contrats de couverture de type options de vente (put) sur indices est à envisager afin de pouvoir faire face à des pics de volatilité. Le coût de ces contrats a beaucoup diminué ces derniers mois à la faveur des perspectives de fort rebond économique dans le cadre d’une sortie de la crise sanitaire, de plans de relance massifs et de soutiens monétaires de longue durée.

VIRAGE A GAUCHE AUX ETATS-UNIS : VERS UNE REMISE EN QUESTION DE L’HÉRITAGE NÉOLIBÉRAL DES ANNÉES REAGAN ?

Joe Biden était attendu au centre - la composition de son équipe gouvernementale dont de nombreux membres faisaient partie de l’Administration de Barack Obama justifiait cette prévision consensuelle -, sa politique est finalement beaucoup plus marquée à gauche, ce qui ne paraît pas inquiéter Wall Street. Les démocrates semblent s’être ralliés en masse à la théorie monétaire moderne très en vogue dans les milieux progressistes, sorte de doctrine keynésienne radicale qui, dans les grandes lignes, déclare qu’un État qui a préservé sa souveraineté monétaire et s’endette dans sa monnaie n’a nul besoin de se fixer des limites théoriques à son action. La dette n’est plus un problème puisqu’il suffit à l’État de créer de la monnaie pour satisfaire ses besoins de liquidités. Dans le cas du dollar, la banque centrale (Réserve fédérale) finance sans retenue les déficits publics tandis que le reste du monde, prisonnier du poids de cette monnaie dans les échanges internationaux, n’a d’autre choix que d’accumuler des actifs dans cette même monnaie. Le « privilège exorbitant » dont bénéficie le dollar transforme ainsi en profondeur le rôle de l’État dans l’économie ; il devient à l’extrême limite du raisonnement l’investisseur, le consommateur, le prêteur et l’employeur en dernier ressort dans les périodes de crise. La seule limite de la doctrine est que l’inflation reste inexistante pour éviter un cycle de resserrement de la politique monétaire et un emballement des taux d’intérêt. Laissons aux économistes le soin de débattre de la pertinence de cette théorie économique que de nombreux responsables politiques regardent avec des yeux de Chimène, surtout au sud de l’Europe. Nous signalons néanmoins deux profondes contradictions dont ne s’embarrasse pas la nouvelle Administration américaine. La première renvoie à la volonté politique de soutenir coûte que coûte les classes populaire et moyenne avec des chèques et des aides sociales, et à la crainte simultanée des autorités d’un emballement généralisé des salaires alors que la faible progression réelle des bas revenus qui concerne des dizaines de millions d’américains (croissance inférieure aux gains de productivité depuis 25 ans, en dehors des années Trump), est d’une insoutenable iniquité. La deuxième contradiction, peut-être plus malsaine encore, est le creusement inévitable des inégalités de patrimoine provoqué par la forte performance des actifs financiers et immobiliers soutenue par la création monétaire. Ce sont les actionnaires et les propriétaires qui finalement profitent le plus des conséquences d’une politique économique reposant sur la théorie monétaire moderne.

Ainsi, les plans de relance successifs proposés par Joe Biden (1 900 milliards de dollars pour les mesures d’urgence, 2 250 milliards pour les infrastructures au sens large et plus récemment 1 800 milliards d’aides sociales), qui s’étaleront sur plusieurs années, portent sur un total de près de 6 000 milliards de dollars, soit 30% du PIB américain ! Alors que le privilège dont jouit le dollar permettrait à la nouvelle Administration de financer entièrement sa politique par la création monétaire, Joe Biden a voulu donner quelques assurances à l’aile gauche de son parti en détricotant la réforme fiscale de Donald Trump accusée de faire la part belle à Wall Street et aux ménages les plus aisés du pays. Nous avons déjà touché un mot de la fiscalité sur les entreprises dans notre précédente lettre mensuelle, qui pourrait amputer les bénéfices du S&P 500 de l’ordre de 10%, et menace en priorité les secteurs les plus actifs dans l’ingénierie fiscale tels que la technologie et la santé. La proposition de relèvement du taux marginal de taxation des revenus des ménages aisés (supérieurs à 400 000 dollars par an) pourrait conduire, dans certains États et régions, à des taux marginaux d’imposition supérieurs à 50% - on parle de près de 60% dans la ville de New York - , des niveaux qui n’ont rien à envier au modèle d’État-providence qui prévaut en Europe. A cela s’ajouterait une forte majoration de la taxation des plus-values en capital à un niveau proche de celui des salaires. Etonnamment, le virage à gauche de la politique de la nouvelle Administration, qui ne fait pas que remettre en cause les années Trump, mais qui va jusqu’à sonner le glas de la révolution néolibérale des années Reagan, n’a jusqu’à présent aucun effet sur les performances de la bourse américaine. Cette anomalie pourrait parfaitement se corriger dans les prochaines semaines, notamment à la faveur de prises de profits avant que les nouvelles mesures fiscales n’entrent en vigueur.

CONCLUSION

Nous pensons que les marchés devraient prendre leur respiration dans les prochaines semaines, c’est d’ailleurs dans leur intérêt. Une consolidation mesurée de l’ordre de quelques pourcents des principaux indices n’est pas à exclure. La réaction émotionnelle des actions américaines, et plus particulièrement de l’indice Nasdaq, aux propos maladroits de la secrétaire au Trésor Janet Yellen le 4 mai dernier, au sujet de la nécessité d’une hausse des taux d’intérêt afin d’éviter une surchauffe de l’économie – commentaires qui firent l’objet d’une tentative de rétractation de la part de l’intéressée -, résume bien la situation malsaine des bourses américaines. Cet épisode doit servir d’avertissement aux investisseurs dont les portefeuilles sont excessivement concentrés sur les valeurs de croissance, en particulier la technologie, et plus généralement sur les segments les plus chers de la cote qui seront les premiers à pâtir d’un changement de régime des taux d’intérêt.

Dans le cadre d’une sortie progressive de la crise sanitaire, les bourses européennes devraient continuer de tirer parti de trois atouts majeurs : leur plus grande sensibilité à la croissance mondiale (exposition au cycle), leur pondération élevée en secteurs réputés « value » (matériaux de base, construction, entreprises industrielles, énergie, valeurs financières…), et enfin leur composition riche en titres labellisés « ESG » (Environmental, Social and Corporate Governance).



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